Les sept minutes de la discorde

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Du 1er au 8 février, l’Opéra national de Lorraine présente la création mondiale 7 Minuti de Giorgio Battistelli, mise en scène par Michel Didym.

Dans une salle de réunion dans l’usine Picard & Roche. L’entreprise vient d’être rachetée par une multinationale. Depuis plus de trois heures, les déléguées du personnel attendent le retour de Blanche, leur porte-parole, convoquée par les nouveaux propriétaires. Lorsqu’elle sort du bureau de la direction, il ne leur reste plus qu’une heure pour voter et donner leur avis sur l’accord. Aucune fermeture, aucun licenciement. Au soulagement général, Blanche répond par une tension qu’elle ne réussit pas à contenir car il y a une condition : supprimer sept minutes de leur temps de repos. En distribuant à chacune les lettres annonçant la décision de la direction, Blanche leur demande de l’écouter avant de les ouvrir. Car la décision qu’elles vont devoir prendre est lourde de conséquences.

Le texte, écrit par Stefano Massini, est tiré d’un fait divers. En 2012, l’entreprise de lingerie Lejaby d’Yssingeaux en Haute-Loire est rachetée. La condition pour qu’il n’y ait aucun licenciement est la même : que les ouvriers acceptent de perdre sept minutes pause.

Mise en scène d’une réflexion sociale

7 minuti est une création mondiale commandée par l’Opéra national de Lorraine et le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle. Giorgio Battistelli et Michel Didym travaillent conjointement à cette oeuvre d’un nouveau genre appelée « opéra syndical ». « Nous mettons en scène une vraie réflexion sociale : tout le monde a tellement peur de prendre son travail que tous disent oui. Sauf Blanche, la porte-parole. C’est la plus responsable, la plus aboutie syndicalement parlant. Un débat se met en place pour réfléchir en profondeur » explique Michel Didym, le metteur en scène. « C’est un beau projet que de présenter un opéra sur ce thème-là, ici en Lorraine, qui a cette tradition sidérurgique. »

Sur scène, onze chanteuses endossent les rôles des ouvrières. Toutes sont déléguées syndicales élues. Mais avec leurs différences d’origines, d’âges, de cultures, le dialogue se crispe. Quel sera l’issue du vote ? Blanche parviendra-t-elle à convaincre ses collègues de ne pas accorder plus de 600 heures de travail gratuites à leurs nouveaux dirigeants ?

« C’est un challenge »

À une semaine de la première représentation, les choses deviennent sérieuses pour l’équipe. Et pour la première fois, l’opéra s’est délocalisé à Vandoeuvre dans le cadre de la manifestation « Vendopéra ». Les habitants ont pu assister à une répétition publique dans la salle Bernie Bonvoisin : « Nous avions des spectateurs de tous âges, venus s’intéresser à notre création. Nous avons expliqué la dramaturgie, la situation politique. Je lisais en français le texte pour la bonne compréhension. Ils ont pu juger de l’esthétique musicale et je pense que ça leur a plu, vu les applaudissements chaleureux ! » souligne Michel Didym. À l’issue de la répétition, les chanteuses ont partagé un moment avec le public qui s’intéressait de près à leur vie quotidienne. « Rencontrer des chanteuses aussi puissantes, c’est impressionnant ! » continue le metteur en scène. « C’était une belle opération. Il est important d’aller à la rencontre de ces publics pour leur donner envie de venir à l’opéra. C’est symbolique mais fondamental en réalité. »

L’opéra sera joué du 1er au 8 février prochain. Michel Didym confie une petite appréhension en évoquant « un challenge ». « Je pense qu’il y aura, pour le public, la même évolution de réflexion politique que pour les personnages. Avec cet opéra, je suis convaincu que l’on peut faire un divertissement politique qui peut marquer la conscience du spectateur. »

Du 1er au 8 février à l’Opéra National de Lorraine • Tarifs : de 5 € à 75 € • Renseignements et réservations : 03 83 85 33 11 • Billetterie en ligne : opera-national-lorraine.fr

Entretien avec Michel Didym

Metteur en scène de l’opéra 7 Minuti de Giorgio Battistelli

À quelques jours de la première représentation, comment vous sentez-vous ?

Je ressens de la fatigue physique car ça représente beaucoup de travail, mais ça va très bien ! Aujourd’hui, nous avons notre premier filage. Puis, nous aurons en début de semaine prochaine, notre première répétition avec l’orchestre. Pour l’instant, nous étions seulement avec les solistes et un piano. Nous avons rencontré les chœurs hier, c’était très bien, car ils sont très motivés et ils excellent au niveau musical. Nous avons une salle magnifique de répétition dans des conditions optimales !

Comment est né le projet 7 Minuti ?

L’opéra m’a proposé, il y 4 ans, de faire une création. Avec Giorgio Battistelli, nous sommes tombés d’accord sur ce texte de Stefano Massini. C’est un auteur que j’apprécie. Nous avons fait ensemble le projet franco-italien « Face à face », où nous avons reçu une dizaine d’auteurs des deux nationalités. J’ai également fait « J’avais un beau ballon rouge » avec Romane et Richard Bohringer. Nous l’avons joué au théâtre du Rond-Point et nous l’avons repris au théâtre de l’Atelier, c’était un très gros succès. À la Mousse d’été, j’ai joué « Je crois en un seul Dieu » de Stefano Massini également. Et il vient d’écrire ce 7 Minuti, que j’ai présenté l’année dernière à la Mousson d’été aussi où il y avait 11 actrices.

Justement, sur scène, nous découvrons 11 personnages très différents.

Elles sont toutes déléguées syndicales élues. Elles ont toutes un contrat de travail. Alors, certes, elles ont des origines différentes. Mais au début, elles sont toutes d’accord pour supprimer ces 7 minutes de temps de pause. Mais avec 250 employés dans l’usine, cette mesure amène 650 heures de travail gratuit en plus par mois aux repreneurs ! Mais pourquoi acceptent-elles au début ? Car il faut montrer que nous sommes heureux d’avoir un travail et que, finalement, sept minutes, ce n’est rien ? Tout le concept est de savoir : quelle est la dignité de quelqu’un ? Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour un job ?

C’est aussi une pièce très actuelle. 

Surtout en pleine crise des gilets jaunes ! Et encore, nous l’avons décidé il y a deux ans. Cette crise était prévisible. Il y a une perte de pouvoir d’achat tellement énorme pour la classe populaire que les gens ne se laissent pas faire.

Est-ce différent de mettre en scène un opéra ?

La grande différence est qu’il faut tout préparer à l’avance. Ici, c’est la musique qui maîtrise le temps, avec le chef d’orchestre qui décide du tempo. Moi, j’interviens sur la direction esthétique, sur la conduite comportementale, sur la dramaturgie, sur les motivations des chanteuses. Ce sont des grandes artistes et je dois les amener à pouvoir s’exprimer. J’invente toute la situation concrète et symbolique. Je dois faire comprendre au public les tenants et les aboutissants.   

Qu’est-ce qu’apporte la musique à la dramaturgie ?

Émotionnellement, c’est très puissant. Et dans les annales de l’opéra, je vous mets au défi de trouver un autre « opéra syndical ». Politiquement, c’est très intéressant. Dans 7 minuti, les 11 héroïnes sont toutes ouvrières.

Si vous étiez à la place d’une des ouvrières, qu’auriez-vous décidé ?

Je pense qu’au début, j’aurais été d’accord pour supprimer ces 7 minutes. Mais en écoutant les arguments de Blanche, je me serais laissé convaincre. Car, ce qu’elle dit n’a rien de révolutionnaire ou d’anarchiste. C’est simplement du bon sens, dans le respect et la dignité des employés. Propos recueillis par Pauline Overney

Photos © C2Images pour Opéra national de Lorraine, Eric Didym, DR