Dans la peau d’un livre… sur la Place

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Daniel Picouly © Ph. Vermès
Daniel Picouly © Ph. Vermès

Mes pages sont écornées, froissées. À force d’être tournées avec impatience, voire avidité, elles se sont transformées en sculptures délicates et sensibles. Et sur elles, les mots frappés d’encre n’en sont que plus délectables.

J’en ai vu des choses dans ma vie de livre : des auteurs inquiets ou surfant sur une vague d’inspiration, prête à s’effondrer à tout moment ; les lecteurs parfois conquis aux premières lignes, parfois réticents puis captivés. De temps en temps, il m’arrive d’être rapidement délaissé dans un coin de bibliothèque, rangé dans un carton ou bien d’être revendu car je n’ai pas plu. Il me faut quelques fois attendre pour que le récit imprimé sur ma peau trouve celui ou celle à qui il est destiné. Je suis rarement considéré comme une gravure de mode. Rarement… Sauf une fois par an, au Livre sur la Place. Là, je me pare de mes écritures les plus enchanteresses et part à la conquête du monde littéraire.

LSP 2014 - AMIBIANCE EXTERIEURE _285 copie

Le poids des maux

Les 11, 12 et 13 septembre prochains, c’est reparti pour un tour. En l’espace d’un week-end, près de 170 000 visiteurs vont passer près de moi, me frôler, m’effleurer, m’ouvrir pour découvrir mes secrets. Je suis même chatouillé lorsqu’un écrivain décide de me dédicacer. Car moi, Messieurs et Dames, je suis écris par le plus renommés. Cette année encore, ils se déplacent pour moi : les Amélie Nothomb, Françoise Chandernagor, Philippe Claudel, Tahar Ben Jelloun, Virginie Despentes… Au total, ils sont plus de cinq cents à venir pour ma belle typographie. Certains recevront des prix. Le Goncourt de la biographie sera remis par exemple à l’ouvrage « Moïse fragile » (Éditions Alma) de Jean-Christophe Attias. Allongée sur une feuille, le verbe aussi peut être une arme puissante. S’il ne peut changer le monde pour le meilleur, il arrive parfois qu’il réchauffe les coins les plus sombres de l’humanité. Ainsi, depuis quatorze ans, le Livre sur la Place récompense un auteur pour ses écrits en faveur des droits de l’Homme. Cette année, le lauréat du prix « Livre et droits de l’Homme » sera Abdennour Bidar, philosophe et membre de l’Observatoire de la laïcité.

Sous les pavés, la place

Tous les yeux seront tournés vers moi. Après vous avoir mis du plomb dans la cervelle, je vous promets de faire jaillir quelques paillettes de dessous ma couverture. Pour une fois que l’on sort les petits fours pour ma pomme, je ne vais pas me gêner. De nombreux débats et rencontres me seront donc consacrés. La plus importante prendra place à l’opéra le 11 septembre à 18h30 entre Françoise Rossinot, commissaire générale du Livre sur la Place, et Daniel Picouly, président de cette 37e édition. Toujours dans ce lieu prestigieux, l’ami Bernard Pivot se pliera à l’exercice d’une lecture-spectacle sur un texte farfelu et délicieux : « Au secours ! Les mots m’ont mangé ». Entre nous soit dit, ce titre m’évoque quelques expériences personnelles… Mais chut, je n’en dit pas plus. Les émotions qui ont parcouru mon corps de papier respireront de nouveau à travers le souffle de comédiens talentueux. Bruno Putzulu lira « Jules » de Didier Van Cauwelaert. Pour le 130e anniversaire de sa mort, Charles Berling ressuscitera Victor Hugo avec des extraits de « Victor Hugo vient de mourir » écrit par Judith Perrignon et de certains des textes de l’illustre auteur.  Quant à Bruno Ricci, il embarquera pour les rives anglaises de Jonathan Coe. Enfin l’écrivain et réalisateur nancéien Philippe Claudel opèrera un mariage inattendu entre sa plume et les photographies d’Arno Paul, parti effectuer un inventaire des collections du Musée Aquarium de Nancy.

Les artisans du livre

Et puis, cela fait quarante ans que dans Fluide Glacial, mon papier se trempe de dessins impertinents, drôles à souhait, et se frotte à des mots parfois acides, parfois burlesques ou pathétiques… Un méli-mélo remuant et frais que seul ce journal d’Umour et Bandessinée peut offrir aux lecteurs. Cet anniversaire se teinte pourtant de tristesse : il se célèbre sans l’un de ses lurons Philippe Escafre, dit Coyote, décédé  le 9 août dernier. Il avait gratouillé sur ses pages des personnages comme Litteul Kevin ou « Bébert, clochard et philosophe ». Le samedi 12, une table-ronde en présence des papas de Fluide Glacial fera perdre un peu de son sérieux au Palais du Gouvernement, suivie par une rencontre avec Joann Sfar et son « Chat du rabbin ». Et puis certains me bichonnent d’une autre manière : les fous de la micro-édition, ceux qui me fabriquent et assemblent mes feuillets à la main, en artisans de la pensée couchée sur papier. La MJC Lillebonne et l’association Spraylab dédient le festival « L’Enfer » à cette pratique du 11 au 13 septembre. Des artistes comme Sophie Lécuyer me tatoueront avec délicatesse et génie. Au bout de ces trois jours, mes dos, contre-plats et tranchefiles en compote, je reviendrai tranquillement me nicher à ma place habituelle, dans les rayons d’une librairie ou sur votre table de chevet. En attendant que vous me lisiez…

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