Après un hommage aux musiques de cinéma en 2012 et Candide de Bernstein en 2013, le chef d’orchestre américain Ryan McAdams s’attaque à Benjamin Britten et son Owen Wingrave. Voyageant entre œuvres contemporaines et plus classiques, il partage avec l’opéra de Nancy un goût pour les expérimentations musicales.
C’est la troisième fois que vous travaillez avec l’opéra national de Nancy-Lorraine. Comment la rencontre entre vous et l’opéra a été possible ?
Tito Muñoz, l’ancien chef d’orchestre de l’opéra de Nancy, est un ami de longue date et il m’avait beaucoup parlé de ce qu’il réalisait ici. Un jour, il m’a invité à travailler sur un ballet de Philip Glass. Finalement ce projet est tombé à l’eau mais l’opéra m’a proposé de diriger l’orchestre symphonique sur un concert dédié aux musiques de films. Ici, ils aiment explorer des œuvres qui voient rarement la lumière du jour mais qui méritent d’être mises en avant. Ils donnent beaucoup de liberté aux artistes et leur font confiance, chose rare dans le domaine du spectacle. Artistiquement, l’opéra de Nancy est un endroit unique.
Vous avez déjà travaillé sur des œuvres de Benjamin Britten au cours de votre carrière. Quelle est la particularité de ce compositeur ?
Le tout premier opéra que j’ai entendu était un des siens : Peter Grimes. Cette pièce m’a fait comprendre comment un drame musical se construit. J’ai ensuite travaillé sur Le viol de Lucrèce et beaucoup de symphonies composées par Benjamin Britten. Il est remarquable : il sait mettre en valeur aussi bien les voix que les livrets. Sa façon de poser sa musique sur les textes donne l’impression qu’il n’y a pas à faire d’efforts pour la jouer ou la chanter. En fait c’est tout le contraire. Ensuite, d’une certaine manière, Benjamin Britten est un caméléon. Il compose des motifs différents pour chaque atmosphère, chaque personnage et il a une incroyable sensibilité théâtrale. Selon moi, il est le plus grand dramaturge musical du XXème siècle.
Comment avez-vous abordé Owen Wingrave ?
Je suis vraiment tombé amoureux de cette pièce. En surface, Owen Wingrave est une histoire de fantômes. Mais quand on creuse, on se rend compte qu’en réalité Benjamin Britten dessine un portrait psychologique très complexe. Il montre des personnes enfermées dans un cercle de violence, génération après génération. Benjamin Britten est assez fasciné par les outsiders, ceux qui ne réussissent pas à s’intégrer dans la société. Même si tu n’es pas sûr d’aimer Owen, tu éprouves de l’empathie pour lui car il a le courage de remettre en question son histoire et de l’affronter.
Comment Benjamin Britten a réussi à traduire cette complexité psychologique musicalement ?
C’est absolument brillant ! La musique n’est pas éthérée mais elle expérimente des sons proches de cette sensation. Les premiers accords évoquent la maison : ils donnent un sentiment de noirceur, d’oppression. D’ailleurs dans la nouvelle d’Henry James, celle-ci est décrite comme un ange de la mort, avec le bâtiment principal et les ailes qui le prolongent. Tout l’opéra baigne dans ce monde musical sombre, occasionnellement discordant. Et puis, au milieu du deuxième acte, Owen chante un air sur la paix. Il y a ces accords lumineux et apaisants. C’est comme s’il ouvrait les fenêtres et laissait le soleil entrer à l’intérieur.
Comment êtes-vous passé de Candide à Owen Wingrave ?
Pour Candide, tu as l’impression d’entretenir un immense jardin avec beaucoup de plantes et de fleurs. Et ton travail, c’est d’enlever les mauvaises herbes, tailler un peu ce qui pousse et faire que cela reste très coloré. Owen Wingrave, c’est plutôt comme faire croître une orchidée très fragile. Chaque feuille, chaque pétale doit se développer de façon harmonieuse, gracieuse. Elle doit être parfaite.
Pour plus d’infos sur la programmation de l’opérawww.opera-national-lorraine.fr
Pour découvrir le travail de Ryan McAdams
www.ryan-mcadams.com