Depuis 1945, un trésor dormait tranquillement dans les réserves du musée des Beaux-Arts de Nancy. Exhumé en 2011 pour l’exposition « Un goût d’Extrême-Orient », il a été recueilli avec patience par un passionné du Japon : Charles Cartier-Bresson. Grand oncle du célèbre photographe Henri Cartier-Bresson, il collectionnera les images et objets de ce pays rêvé sans jamais le voir de ces propres yeux.
Sur son portrait peint par Jean-Mathias Schiff, Charles Cartier-Bresson pose dans son salon japonais de la rue de la Ravinelle. Autour de lui se détachent ces objets rassemblés avec patience et passion : statuettes, étoffes richement décorées, objets usuels, céramiques… Né à Paris en 1852 et mort à Nancy en 1921, ce collectionneur prolifique réunira au cours de sa vie plus de 1 700 pièces principalement en provenance du Japon. En 1936, sa veuve fait un cadeau merveilleux au musée des Beaux-Arts nancéien et lègue, selon les volontés de son époux, une très grande partie de sa collection, soit environ 1 300 objets. Exposés jusqu’en 1945, ils retournent ensuite dans les réserve, d’où ils sortiront en 2011. Aujourd’hui, certains sont encore exposés dans une salle dédiée du musée.
« Terra incognita »
Du XVIIe au XIXe siècle, le Japon est inaccessible, fermé aux échanges commerciaux et humains. À sa réouverture en 1853, tous les regards convergent donc vers cette partie extrême de l’Asie, exotique et ensorcelante. Nombre de marchandises arrive alors par vagues sur le marché européen. Les premières grandes collections se constituent, sous l’impulsion de personnalités comme Edmond de Goncourt ou Philippe Burty. Charles Cartier-Bresson, directeur d’une filature familiale dans les Vosges, appartient à la deuxième génération de « bibeloteurs ». « Elle est typique de celle des collectionneurs amateurs car elle est très large. On y trouve aussi bien des estampes, des masques Nô, des kimonos, des boîtes à médicament (inro) ou des peignes. On retrouve aussi certaines pièces ayant appartenu à d’autres, comme ce nécessaire à fumer en cuir d’Edmond de Goncourt », explique Tizulu Maeda, attachée de conservation au musée des Beaux-Arts de Nancy.
Images flottantes
Chaque objet a son histoire. Les estampes sont par exemple le reflet d’une certaine philosophie de l’époque Edo (XVIIe-XIXe siècles). « Elles sont appelées « ukiyo-e » en japonais. Cela signifie « images du monde flottant » », note Tizulu Maeda. Des grands artistes créent à cette période des séries autour de vues du Japon. « Vue sur le Mont Fuji » d’Hokusai est connu de tous les férus d’art japonais. Kunisada, lui, s’est attelé à un autre exercice de style : présenter les « 53 relais de Tokaidô », la route reliant Tokyo à Kyoto. Chaque estampe est à la fois une fenêtre ouverte sur l’archipel autant qu’une peinture de la vie de ses habitants. Le peintre se démarque d’autres séries sur le sujet en ajoutant en premier plan des beautés nippones. Charles Cartier-Bresson a réussi à réunir les cinquante-trois pièces de cette série ; toutes ont été léguées au musée.
Vertige de la collection
Dans ces illustrations, se retrouvent aussi dépeints quelques accessoires de voyage, que Charles Cartier-Bresson collectionnera dans leur forme véritable. Parmi ceux-ci, les amateurs européens s’arrachent les « netsuke ». Ces petites figurines en ivoire servaient de contrepoids aux « inro », certaines amusantes et d’autres plus effrayantes. La rigueur et la créativité des artisans nippons s’exprimaient même dans les garde-sabre ou « tsuba », que l’industriel avait aussi en quantité. Chaque pièce semble être une carte postale envoyée du Japon. L’image est parfois floue, parfois partielle, laissant toujours le mystère flotter autour de cet ensemble d’îles lointaines. Mais à chaque fois, l’œil pourrait s’y noyer. Le vertige du collectionneur Charles Cartier-Bresson est peut-être contagieux.
Plus d’informations : mban.nancy.fr