Monsieur Kurtis, c’est l’aventurier des temps modernes. Son superpouvoir ? Le don d’ubiquité. Sa mission ? Photographier le patrimoine oublié du monde entier pour le faire réexister. Un talent dont le lorrain a fait un livre… Rencontre masquée.
Entièrement dévoué à son audacieuse passion, l’exploration urbaine, il pénètre régulièrement sur des terrains privés sans autorisation. Et c’est pour s’éviter d’éventuelles poursuites, que le jeune homme, alias Monsieur Kurtis, s’adonne depuis dix ans à la photographie sous pseudonyme. Un cadre qui convient parfaitement à sa nature (l’homme évite les feux de la rampe) et à l’essence d’une démarche artistique fondée sur la discrétion et l’adaptation permanente aux aspérités du terrain. C’est ainsi que depuis une décennie, le lorrain explore le monde et accumule les clichés de monuments perdus, de morceaux choisis d’un patrimoine en friche.
Ode à la pop culture
Petit déjà, il brille par sa grande curiosité : il veut savoir, comprendre et voir. L’ado passionné de pop culture laissera les films, mangas, et jeux vidéo – dont il tirera son pseudo – façonner son imaginaire. Puis, étudiant en communication à Metz, il comprend que la photographie lui permettra de s’approcher au plus près de cet univers… Il ne se balade plus, dès lors, qu’avec son appareil en bandoulière, faisant de ses voisins de palier, les lieux délaissés de la Vallée de la Fensch, ses principaux sujets.
C’est à Nancy, où il vit et travaille désormais, que Monsieur Kurtis a peaufiné son dernier gros projet en date : un livre, intitulé « Urbex, Patrimoine mondial » et paru en octobre dernier chez Suzac Editions. « Au départ, je voulais faire un ouvrage sur le patrimoine à l’abandon en Moselle. Mon éditeur m’a encouragé à élargir l’angle de mon projet ». Les objets de patrimoine mosellan ont donc été rejoints par une cinquantaine d’autres lieux d’Amérique (du sud et du nord), d’Europe de l’Est, d’Asie, d’Océanie, visités par le photographe au fil de ses nombreux voyages… Un livre, pour une décennie passée le plus loin possible des sentiers déjà défrichés, à explorer, à collectionner l’insolite. « Une telle rétrospective me permet de mesurer mon évolution mais aussi de revenir dans des lieux qui n’existent plus », telle la feue centrale électrique d’Esch-sur-Alzette.
Le choix des lieux
Car si Monsieur Kurtis cherche, par la photographie, à assouvir une soif toute personnelle de découverte, il œuvre à mettre la lumière sur un patrimoine à l’abandon qui, peu à peu, disparaît dans le souvenir collectif. Des lieux identifiés « en amont du voyage, comme des points d’étapes », ou sur les conseils d’amis, ou encore grâce à d’autres explorateurs rencontrés sur place. « Ce dialogue est toujours extrêmement enrichissant ».
Par crainte de dégradations à venir, le photographe a passé sous silence la localisation exacte des lieux dont il a tiré le portrait. Les critères, pour espérer être retenu ? « Ne pas être très connu » et « être en bon état ». « Énormément de ruines sont taguées et cela enlève de leur essence d’origine. Ce qui m’intéresse, ce sont les dégradations naturelles et non celles causées par l’homme ». Monsieur Kurtis ne soumet sa quête à aucun autre critère physique. « Mon travail consiste à rendre belles les choses qui ne le sont pas forcément sur un plan objectif ».
Et si, comme souvent, son intrusion est illégale car le site visité est privé, il s’est donné pour principes de ne jamais commettre d’effraction et de ne pas chercher à fuir. A Hong-Kong, dont il a fréquenté, du toit, certains gratte-ciel, il n’a eu qu’à jouer le touriste perdu. Quant aux militaires et policiers rencontrés lors de certaines expéditions, ils l’ont toujours laissé repartir libre après simple discussion…
Face à une crise sanitaire qui a réduit son nomadisme à la plus simple expression, Monsieur Kurtis porte sur son environnement quotidien, citadin, un œil bienveillant.« Même en ville je parviens à m’échapper, en changeant de point de vue, en prenant de la hauteur ». Il a reporté à plus tard ses projets de Japon, de Patagonie mais repartira bientôt au Portugal, en Italie ou en Arménie. S’agira-t-il d’une épopée solitaire ou d’un tir groupé avec un.e proche ou d’autres explorateurs « conscients du danger et préparés en conséquence » ? Pas d’indices à ce stade.
3 questions à Monsieur Kurtis
Vous avez à votre actif un tour du monde de deux ans en stop… Quel a été le déclic ?
Dès l’âge de dix ans, je savais que je ferais un jour un long voyage, et j’ai toujours mis de l’argent de côté pour ça. Quand j’ai terminé mes études, je m’étais dit que je travaillerais un peu et que je partirais. Voyager en stop est venu naturellement, cela me permettait d’aller d’un lieu à l’autre tout en faisant des rencontres. Je suis parti en 2014 avec pour tout élément concret un visa pour la Russie qui commençait un mois et demi plus tard… J’ai ensuite fait toutes mes demandes de visas au fur et à mesure, en construisant chaque matin la trajectoire du jour.
Y a-t-il un pays qui se prête davantage que les autres à l’exploration urbaine ?
Tous les pays sont intéressants, ont leur particularités. Les Etats-Unis, c’est la folie des grandeurs, des souterrains énormes, des toits très hauts avec des vues fabuleuses, des ponts à grimper… Les pays d’Europe de l’Est regorgent de ruines soviétiques. De par son gigantisme, la Russie est, de ce point de vue, d’une immense richesse.
Laquelle des photos visibles dans l’ouvrage a votre préférence ?
Celle du bunker en Ukraine, non pas sur un plan artistique mais pour l’expérience dont elle est le souvenir. J’ai dû, pour accéder à ce lieu caché en plein milieu de Kiev, désescalader une paroi de 30 mètres et parcourir un réseau immense de galeries souterraines… Une vraie aventure urbaine, en totale discrétion ! Je suis d’ailleurs retourné en Ukraine au mois d’octobre dernier pour y trouver de nouvelles friches.
Propos recueillis par Cécile Mouton
Photos © Monsieur Kurtis,DR