Jusqu’au 27 avril, les coteaux de Malzéville dévoilent certains de leurs secrets avec l’exposition « Terres de Cabanes ». La Douëra expose des photographies de ces joyaux d’un patrimoine populaire souvent sous-estimé.
Sur les coteaux de Malzéville, depuis la première guerre mondiale, des cabanes ont poussé lentement à l’abri de la ville. Au départ, il y avait juste des parcelles de terre, des espaces d’incubation pour les cultures à venir. Et puis ces lopins ont été cultivés, modelés à l’image de leurs jardiniers. Plus ou moins rapidement, ces derniers y ont construit des abris, simples réduits à outils ou petits chalets confortables pour le week-end. Il y a un an Émeline Curien découvre ces petits bijoux d’architecture populaire et les montre au photographe Patrick Gratien-Marin. « Quand j’ai vu ces cabanes, je me suis dit qu’il était important de garder la trace de ce territoire en perpétuelle mutation. Et puis, il faut conserver la mémoire des personnes qui les ont construites », raconte Émeline Curien. Patrick Gratien-Marin saute à pieds joint dans le projet, emporté par « l’émotion que ces constructions dégagent » et fait plusieurs allers-retours de Paris à Malzéville.
Comme un petit animal en alerte
Au bout d’un an de prospection et de balades sur les sentiers des coteaux, le photographe ramène des milliers d’images des 257 cabanes répertoriées. « Parfois je passais cinq heures d’affilée dans la zone pour les photographier. Pour trouver les meilleurs points de vue, tu deviens un petit animal en alerte : tu tournes autour des clôtures, reviens sur tes pas. C’est un voyage avec des sensations différentes d’une heure à l’autre. Tu ne sais jamais ce qui va t’attendre », s’enthousiasme Patrick Gratien-Marin. Pour l’exposition, 500 clichés sont retenus. Ils permettent de dresser un portrait de ces innombrables assemblages. Émeline Curien, enseignante à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nancy, les a observées à la loupe et a inventorié les différentes techniques et matières de construction. Simples plaques de taule, planches de bois, parpaings, les jardiniers-constructeurs varient les matériaux en fonction de leurs moyens et de leur savoir-faire. Certains réalisent d’ingénieux montages à partir d’éléments récupérés : une nappe pour assurer l’étanchéité du toit, une baignoire usagée pour recueillir l’eau de pluie, un transformateur électrique détourné de son usage originel… D’autres sont presque des résidences secondaires avec les volets en bois et les fenêtres.
Le mystère s’épaissit
Surtout, dans et autour de ces cabanes, le promeneur peut imaginer la vie qui les faisait palpiter auparavant. La plupart est en ruine ou à l’abandon : soit à cause du manque d’eau, soit délaissées par les générations suivant les premiers jardiniers. Ces bâtisses disparates intriguent et émeuvent. Selon Patrick Gratien-Marin, elles sont comme « des personnages » : « elles vibrent des instants vécus ici par leurs propriétaires, entre le temps dédié à la culture et celui accordé au repos. Parfois elles ne nous acceptent pas tout de suite, ne se laissent pas facilement approcher, tout comme un être humain ». De temps en temps, les cabanes cessent d’être des constructions. Elle se transforment en un tableau abstrait composé des couleurs du lichen rampant sur les murs de bois, de la rouille envahissant la taule ondulée, de la peinture craquelée, blanche, bordeaux ou bleue, ajoutée pour personnaliser les extérieurs. La nature reprend ses droits : la végétation se densifie sur certaines parcelles et les animaux trouvent de nouvelles cachettes pour s’installer. Mais après un an d’exploration, Émeline Curien et Patrick Gratien-Marin n’ont pas encore déchiffré tous les mystères enfermés dans ces cabanes. Ils ont pourtant en tête d’autres balades dans la région des Mille Étangs en Haut-de-Saône, autour des jardins partagés à Paris et des zones à défendre de Bretagne. Là-bas d’autres cabanes les attendent. L’exposition « Terres de cabanes » raconte l’histoire d’un territoire, qui fait écho au-delà des coteaux de Malzéville, en Lorraine et ailleurs. Les cabanes, elles, ont encore beaucoup à dire ; encore faut-il savoir les écouter.
« Terres de cabanes » jusqu’au 27 avril à la Douëra, 2, rue du Lion d’or à Malzéville.Émeline Curien propose une causerie sur le thème « l’empreinte des jardiniers-constructeurs » le samedi 19 avril à 18h à la Douëra.