La journaliste Dominique Simonnot et le directeur de La Manufacture Michel Didym signent « Comparution immédiate 2 », à découvrir jusqu’au 4 janvier.
Toulon, Nancy, Paris. Salles d’audience des tribunaux correctionnels. La règle est simple. Un délit commis, une arrestation, une garde-à-vue et un jugement immédiat. Le Procureur de la République fait face à l’avocat de la défense et au prévenu. Entre dix et quinze minutes sont accordées à chaque dossier. Pas plus. Pas le temps. « Ce qui est fou, c’est qu’en quelques instants, une personne peut être condamnée à 10 ans de prison ! »
Michel Didym, le directeur du théâtre de La Manufacture a parcouru les tribunaux avec la journaliste Dominique Simonnot. « La dimension tragique que l’on retrouve dans ces salles d’audience frôle aussi le comique. Quand le Procureur se trompe de peine par exemple… L’ascenseur émotionnel nous donne envie de rire mais aussi de pleurer. » Dans cette nouvelle version de « Comparution immédiate 2. Justice : une loterie nationale ? », tous les cas présentés sont réels : rien n’est inventé. Pas un mot, pas une phrase, pas une peine. Tout a été scrupuleusement retranscrit par Dominique Simonnot, qui tient par ailleurs la rubrique « Coups de barre » dans le Canard Enchaîné. Seuls les prénoms ont été changés.
Méchante impression de loterie
Voleurs, agresseurs, époux violents, sans-papiers, dealers, toxicos, cambrioleurs. Et ceux qui ont, encore, bu un coup de trop, insulté un policier. Et aussi des malades mentaux et des innocents. Et, maintenant des « gilets jaunes ». Tous jugés à la sauvette, défendus par des avocats commis d’office qui n’ont eu que quelques minutes pour examiner le dossier : « Tout est question de condition sociale ici. Un prévenu qui n’a pas les moyens de se payer un avocat se retrouve avec un commis d’office… Mais nous avons remarqué que si l’avocat a une superbe éloquence et une prestance installée, le Procureur s’adoucit et prononce souvent des peines moins lourdes. » De leurs observations, Dominique Simonnot et Michel Didym dressent un triste constat : plus qu’une justice expéditive, les comparutions immédiates sont une justice géographique : « C’est dingue, à Bobigny, pour trafic de stupéfiants, le prévenu prend 6 mois avec sursis. À Bordeaux, c’est direct deux ans fermes ! » Plus d’experts, plus d’interprètes. Faute de moyens. Les psychologues n’ont eux aussi que quelques minutes pour établir un bilan. Au nom d’une justice pressée, ultra-rapide, les grands principes enseignés dans les facultés de droit en viennent à être oubliés. Où sont cette présomption d’innocence, ces preuves et ce doute qui doit profiter au prévenu ? La dignité, la sérénité de la justice ? Tous engloutis par la hâte. Nul ne ressort indemne d’une séance aux « flags », et souvent avec une méchante impression de loterie. « Trois ex-ministres et un ministre en poste sont venus voir la première version de « Comparution immédiate ». Ça a donné lieu à des discussions édifiantes » raconte Michel Didym. « En gros, tous nous disent que l’on a raison mais qu’ils n’y peuvent rien. C’est la faute de Bercy. Il n’y a pas d’argent. Mais ils sont d’accord qu’il y a besoin d’améliorations. » Jusqu’au 4 janvier, le comédien Bruno Ricci endossera donc le rôle de ces 62 nouveaux personnages dans cette ambiance pesante et pressée des salles d’audience, théâtre d’une drôle de justice. Pauline Overney
Du 17 décembre au 4 janvier. Représentations supplémentaires les 3 et 4 janvier à 15h • Renseignements et réservations : 03 83 37 42 42 ou theatre-manufacture.fr
3 questions à Michel Didym
Directeur du théâtre de La Manufacture et metteur en scène de la pièce « Comparution immédiate 2. Justice : une loterie nationale »
En 2015, vous présentez pour la première fois « Comparution immédiate. Justice : une loterie nationale ». Pourquoi en faire une deuxième version aujourd’hui ?
Le premier opus a recueilli un grand succès ! Nous l’avons joué au théâtre du Rond-Point qui nous a demandé de poursuivre ce travail. Entre temps, nous nous sommes rendu compte avec Dominique Simonnot que les comparutions immédiates aujourd’hui font plus référence à l’actualité : gilets jaunes, trafic d’êtres humains… Sur 250 textes de Dominique, nous en avons sélectionné 25. Ils sont tous nouveaux par rapport à la première version.
Bruno Ricci vous suit dans cette aventure en endossant le rôle des 62 nouveaux personnages.
C’est un acteur exceptionnel qui a une connaissance intime du milieu judiciaire due à ses relations. Il est sensible, très investi dans ce projet et c’est une chance de l’avoir. C’est vrai qu’il jouera plus de 60 personnages lors de cette deuxième version, c’est une performance incroyable ! Il a également participé aux ateliers d’écriture que nous avons faits en prison : la mise en scène sera d’ailleurs ponctuée de poèmes écrits par les prévenus. Le succès du spectacle est lié à sa personne, c’est indéniable.
Finalement, quel est le message de ce spectacle ?
Notre but n’est pas de charger la justice. Au contraire, nous dénonçons ici un système est dysfonctionnel. J’ai personnellement un grand respect pour le personnel judiciaire. Imaginez, leurs journées commencent à 9h du matin et finissent parfois à minuit passées, avec deux pauses sandwichs. Ils ont un quart d’heure par dossier, voient plus de 20 prévenus par jour… Ils jugent des choses fondamentales : il s’agit de mettre ou non des gens en prison, mais la justice n’a plus les moyens de payer les experts ou les interprètes… C’est un système complètement saturé. Propos recueillis par Pauline Overney
publireportage - Photos © C2Images pour Opéra national de Lorraine, Maxime Bailly, dr