Reflets d’ailleurs

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Créée en 1979, la Biennale Internationale de l’Image a essaimé comme le petit poucet un vent de folie photographique en Lorraine. Du 3 au 18 mai, elle offre un voyage par procuration vers les « Ailleurs » des photographes exposés.

Lancée il y a trente-cinq ans par trois amoureux de photographie, Jean-Pierre Puton, Michel Garnier et Gilles-Tristan Leribault, la Biennale Internationale de l’Image s’est vu pousser des ailes. De l’ancien palais des Congrès aux ateliers de l’imprimerie Berger-Levrault, elle a pris de l’ampleur et aujourd’hui a dépassé les frontières de Nancy. Depuis quatre ans, avec le Mois de la photographie de Lorraine, d’autres villes se sont mis au diapason en proposant aussi des expositions. Cette année, outre le site Alstom, treize lieux participent en région à la manifestation. Certains ont même offert un avant-goût de la Biennale comme l’Arsenal de Metz avec des photographies de Bruno Mercier et Yi, Wan-Gyo, ou encore celles de Michel Lagarde à Épinal. En hommage à ces pérégrinations, le fil conducteur de cette 18ème édition est résumé en un mot : « Ailleurs ».

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L’ailleurs rêvé

Le travail des artistes sur cette thématique donne lieu à des interprétations riches, hétéroclites, parfois même antithétiques. Pour une part des photographes exposés, l’ailleurs se trouve à la marge du monde réel et du monde rêvé. Alors, le pouvoir de l’image s’associe au pouvoir de l’imagination et par le montage des univers fantasques, poétiques ou inquiétants se forment. Julie de Waroquier synthétise ce mélange des genres, entre rêve et réalité, dans ses « Rêvalités ». Dans ses images, elle secoue les lois de la gravité : ses personnages marchent littéralement sur des nuages, sont en suspension. Et le temps, la nature tout autour, s’arrête à l’unisson. Bernardette Joly, compose des photographies qui se lisent presque comme des tableaux abstraits. « Ma démarche artistique est de créer une photographie qui s’adresse à l’imaginaire de chacun, à ses propres rêves, à ses propres émotions et à sa propre énergie créatrice »1, écrit l’artiste pour présenter son projet « Ailleurs ose l’inconnu ». Dans « 9 Rêves », Claire Jolin brise aussi les règles de la représentation photographique, jouant des flous ou fractionnant l’image. Le regard, en perte de repères, en construit de nouveau et se laisse emporter par les vibrations renvoyées par ces clichés. Parfois, certains artistes s’insinuent dans l’ailleurs des sujets qu’il photographie. Christophe Hargoues, avec « Train’somnie », capte cet instant particulier où les passagers d’un train tombent dans le sommeil et révèlent leur fragilité. Quant à Michel Lagarde, il convoque dans ses « Dramagraphies » les références conjuguées du cinéma, de la peinture, du théâtre. « Je raconte des histoires, j’illustre et photographie mon inconscient », raconte-t-il. Et son inconscient a la bougeotte et va partout : de la terre à la lune, du saloon de western au quai de gare.

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L’ailleurs comme vision du réel

Pour d’autres artistes, la réalité offre un mystère plus fascinant encore. À la rencontre de l’autre, lointain voisin ou proche étranger, certains photographes offrent une porte sur l’intime. Dans « Ailleurs d’ailleurs », Vincent Lecomte cherche par exemple à répondre à cette question : « Quelles sont les fuites de ceux qui vivent dans ces lointains endroits où nous fuyons ? ». Loin de la beauté des paysages du Népal, de Namibie ou du Laos, ces pays se dévoilent à travers leurs habitants, dans des moments où nulle illusion n’est possible. Pour Jean-Michel Leligny, l’ailleurs est tout près, en France, sur la longitude du Méridien de Paris. Dans « 2°20 ou la France par le milieu », le photographe cartographie cette « France du milieu », de Dunkerque au col de Pal. « J´ai voulu ce voyage comme une petite fenêtre sans voyeurisme, sans effet de style, toute simple, sur la vraie vie »2, explique-t-il. Arno Paul, lui, montre au spectateur la mécanique cassée du voyage à travers ses portraits de caravanes immobiles. Pourtant, l’ailleurs peut toujours être atteint : le temps et les saisons continuent de transformer ces logements itinérants désormais abandonnés ou sédentaires. Plus que le chemin parcouru par ces caravanes, ce sont leurs histoires qui désormais jaillissent de ces clichés et s’offrent au public. D’ailleurs en ailleurs, la Biennale Internationale de l’Image de Nancy réussit son pari : révéler les jeunes talents et rendre hommage à ceux déjà reconnus. Les photographies exposées sont pour la plupart inédites, créées par leurs auteurs pour l’occasion autour du thème 2014. Au total, 70 expositions où les générations passées, présentes et futures se rencontrent et s’offrent au regard. Dépaysement assuré.

« Ailleurs »
Lieu principal : Site Alstom – 50, rue Oberlin – Nancy
Pour un programme détaillé avec les autres lieux :
www.biennale-nancy.org
1*Sur son site internet : www.bernadettejoly.com/concept.html
2*Sur www.leligny.fr