C’est en mai 1998 qu’une poignée d’amateurs de musique baroque relève le défi de créer au milieu de presque-rien, dans la campagne lorraine, un festival. Magie des lieux, qualité d’écoute, passion du public, le bouche-à-oreille fonctionne très vite. Le festival est aujourd’hui un incontournable qui inscrit à son programme les plus grandes stars de cette musique qui connaît depuis 20 ans un regain d’intérêt.
Quand on approche du village, on aperçoit le discret édifice, niché dans la verdure. Une église presque normale, mais avec un mystère en plus, comme une poésie qui la relie à l’histoire. Situé entre Nancy et Epinal, ce site unique en Lorraine comprend une église romane du XIe siècle et un cloître du XVe siècle.
Restaurée dans les années 90, l’église devait, selon le souhait du maire l’époque, rester un site ouvert au public. Pour fêter la fin des travaux, un concert de chants grégoriens vient souligner l’exceptionnelle acoustique des lieux. L’évidence s’impose : l’église sera l’écrin parfait pour accueillir un festival.
Bientôt 20 ans que cette aventure a commencé et le festival n’a cessé de grandir au fil des ans. Il fait dire qu’avec beaucoup d’innocence et de culot, les organisateurs, l’Association des amis du patrimoine culturel de Froville, invite des pointures. Et très vite, le petit village se fait une belle réputation chez les amateurs de baroque. Au total, près de 70 000 mélomanes ont entendu les plus belles voix et les plus grands musiciens venus rendre ses lettres de la noblesse à la musique baroque, un temps délaissée par le grand public qui lui préférait les grands opéras ou la musique romantique.
Stars mondiales
Parmi les plus grands artistes fidèles au festival de Froville, Philippe Jaroussky est venu s’y révéler en 2002. Il est aujourd’hui un des contre-ténors les plus réputés au monde. Avec une maîtrise technique qui lui permet les nuances les plus audacieuses, il a investi un répertoire extrêmement large dans le domaine baroque, des raffinements du Seicento italien avec des compositeurs tels que Monteverdi, Sances ou Rossi jusqu’à la virtuosité des Haendel ou Vivaldi. Il a reçu de nombreuses récompenses, dont plusieurs victoires de la musique. Ce qui ne l’empêche pas de revenir fréquemment, sans interruption entre 2002 et 2010 à Froville. Il revient cette année le 19 juin.
Car en 2016 le festival approfondit sa vocation de véritable passeur entre générations d’artistes. Celle qui a redécouvert le répertoire baroque : Jordi Savall, Jay Bernfeld et les références actuelles du répertoire : l’ensemble Matheus (voir ci-dessous), ou Max Emanuel Cencic. Ce dernier s’impose comme le véritable fer de lance d’une génération de contre-ténors, il a acquis aujourd’hui un véritable statut emblématique dans le milieu baroque et auprès du public. Il a ouvert le festival cette année avec un concert qui, sur onze titres, contenait neuf premières mondiales !
Jeunes talents
Place est faite aussi aux nouveaux talents: La Boz Galana ou Deborah Cachet. C’est elle qui est lauréate du concours international 2015 de … Froville. Car la réputation du festival s’accompagne de celle du concours qui a lieu chaque année en septembre. L’idée d’un concours de chant baroque s’est naturellement imposée très tôt: quelle meilleure manière de repérer et de soutenir de nouveaux jeunes talents ?
En 2011, le premier concours international de chant baroque de Froville a vu le jour : unique en Europe, en partenariat avec le site départemental du château de Lunéville, il reçoit de plus en plus de candidature. 48 participants l’an dernier, de Chine, de Cuba, d’Afrique ou d’Amérique, sont venus témoigner de leur qualité artistique.
L’an prochain le festival fêtera ses 20 ans. Dans l’esprit qui l’anime depuis sa création, ce sera à n’en pas douter dans la discrétion, avec pour fil directeur la proximité entre les artistes et leur public.
Froville la Romane, festival de musique sacrée et baroque jusqu’au 10 juillet. Programme et réservation : festivaldefroville.com
Ensemble Matheus : l’air frais sur la musique ancienne
S’ils donnaient dans la pop, ils seraient l’équivalent des plus grands groupes. L’ensemble Matheus est aujourd’hui une référence incontournable, un des premiers ensembles cités par les amateurs de baroque.
Dans un désir d’innovation et de recherche constante, Jean-Christophe Spinosi fonde en 1991 le Quatuor Matheus qui deviendra rapidement l’ensemble Matheus.
Doté d’une géométrie variable allant de la « formation de chambre » à l’orchestre symphonique, l’ensemble Matheus s’applique depuis ses débuts à mélanger les différents genres musicaux, interprétant les répertoires du XVIIe au XXIe siècle sur instruments d’époque (baroque, classique, romantique et moderne).
Cette fougue et cette volonté pionnière de s’attaquer aux répertoires originaux l’inciteront à s’intéresser aux manques de la discographie actuelle, et à s’atteler avec un plaisir contagieux au « chantier Vivaldi », en produisant chez Naïve une série d’enregistrements très vite devenus légendaires. En 2005, son enregistrement de l’opéra Orlando furioso fait sensation, remportant sur son passage les grandes récompenses internationales. Aujourd’hui l’ensemble Matheus se produit sur les plus grandes scènes mondiales… dont Froville.
Pour l’édition 2016 du festival, l’ensemble Matheus donnera un concert dans une des soirées officielles, le 3 juin. Il sera dédié au compositeur phare de la musique baroque, Monteverdi.
Casser les codes
Mais pour la première fois dans l’histoire du festival, la musique va sortir de l’église, pour un petit tour dans les environs verdoyants du prieuré : le parc du château de Froville. Le festival a eu en effet l’envie de casser les codes, de sortir du cocon confortable de la nef romane. Séduit par cette idée et ce vent nouveau, l’ensemble Matheus a signé pour une journée folle et a obtenu une carte blanche du festival pour la journée du 4 juin. Le public a rendez-vous sur la pelouse pour un beau mélange de styles, qui commencera par un bœuf mêlant tous les styles de musiques. Après un pique-nique champêtre proposé aux spectateurs (sur inscription), l’ensemble Matheus va passer la vitesse supérieure avec le spectacle intitulé Barock’n Roll, de Vivaldi à Hendrix. Accompagné d’instrument amplifiés comme les guitares électrique ou les batteries. Le programme promet d’être aussi varié qu’enjoué, oscillant entre divers styles musicaux : de la bossa-nova au jazz en passant par le baroque.
Après avoir joué dans le métro, participé au festival très rock des Vieilles Charrues, l’ensemble Matheus apporte à Froville sa façon décomplexée d’aborder la musique pour des passionnés qui ne s’enferment pas dans leur style d’origine.
Monteverdi 2.0, Ensemble Matheus, vendredi 3 juin • Carte blanche à l’Ensemble Matheus, samedi 4 juin
Froville la Romane, site unique
Si elle est devenue l’écrin d’un festival de musique baroque de référence, c’est avant tout parce que Froville révèle un site architectural sans équivalent en Lorraine.
Le village accueille aujourd’hui la plus ancienne église romane de la région. Mais plus encore que son église, c’est le cloître du prieuré de Froville qui participe désormais au rayonnement du site. Et ce de façon plutôt surprenante.
Jusqu’à New-York
Le cloître du prieuré de Froville est l’un des quatre cloîtres français ayant donné son nom au célèbre Cloisters Museum de New-York. C’est en 1920 qu’un collectionneur américain, riche mécène francophile, acquiert les fenêtres du cloître de Froville. Après avoir été remontées à Paris, elles furent définitivement installées à New-York en 1936 pour former la « Froville Arcade » qu’empruntent depuis les 500 000 visiteurs annuels du musée new-yorkais.
Un nouveau jardin remarquable
Le jardin d’harmonies est conçu à la place des anciens jardins du prieuré par Jacques Couturieux, spécialiste en plantes rares. Ce jardin, attenant à l’église du XIème siècle et au cloître du XVème siècle, est ouvert à partir du printemps jusqu’à l’automne, le week-end ou sur rendez-vous.
Imaginé autour de courbes évoquées par les reliefs des grands buis bicentenaires mais aussi par les niveaux naturels du lieu, le jardin surplombe le village de Froville de ses couleurs sans cesse renouvelées tout au long des saisons. C’est en 2005 que le jardin d’Harmonies a été réalisé avec l’idée bien définie de préserver les buis bicentenaires, piliers des jardins, toujours intacts aujourd’hui, qui encadrent les massifs de plantes rares et de plantes aromatiques et condimentaires utilisées autrefois dans le jardin médiéval, alors que les plantes vivaces, arbustes et arbrisseaux apportent de multiples palettes de couleurs tout au long de l’année. L’on y découvre également de nombreuses variétés de roses, roses anglaises, roses anciennes et « nouvelles » roses anciennes. Les plants sont décrits grâce à leurs noms commun et latin.
Visiter ce jardin revient à voyager au travers de siècles de culture, depuis les temps ancestraux où l’on utilisait plantes médicinales et condiments jusqu’à nos jours grâce aux nouvelles variétés de rosiers tel que l’Astronomia, mais aussi s’évader en respirant les senteurs méditerranéennes de certains massifs, les menthes des différents continents, des parfums bizarrement exotiques que l’on ne s’attend pas à trouver au beau milieu d’un jardin lorrain…
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