L’Abbaye ne fait pas le moine

616

Édifiée au XVIIe siècle à Pont-à-Mousson, l’Abbaye des Prémontrés rayonne sur toute sa Lorraine natale et au-delà. Aujourd’hui, devenue centre culturel, elle impulse un rythme nouveau à la ville et attire à elle un public hétéroclite.

La vie de l’Abbaye des Prémontrés n’est pas un long fleuve tranquille. À l’ombre du cloître, dans ce lieu silencieux normalement réservé à la prière, il arrive parfois des choses surprenantes, dignes d’un polar ou d’un drame de haut vol. Il n’y a qu’à lire une des nouvelles du « Decameron » de Boccace pour s’en persuader. La Lorraine aussi, en son abbaye mussipontine, a connu quelques rebondissements d’ordre monastique, avant de la voir devenir ce chef-d’œuvre architectural célébré par tous.

©Prémontrés_porte_réfectoire

Une araignée dans le potage

Avant de s’implanter définitivement à Pont-à-Mousson, les chanoines évoluaient dans un décor plus bucolique, à Sainte-Marie-au-Bois dans la commune de Vilcey-sur-Trey. Là, au XIIe siècle, est construit le premier cloître lorrain issu de l’ordre des Prémontrés, lui-même fondé par Saint-Norbert en 1126. Mais ses habitants ne sont pas vraiment des saints et s’écartent régulièrement de la voie tracée par la règle de Saint-Augustin. Ces derniers sont de nombreuses fois remis à leur place par les papes Grégoire IX  et Alexandre IV (XIIIe siècle) et Eugène IV en 1438. Au XVIe siècle, la nomination de l’Abbé Malhusson, favori du duc Charles III, à la tête de Sainte-Marie-au-Bois permet à la vie monastique de se relâcher encore plus. Rebelles, les chanoines refuseront de rentrer dans le rang et se chargent du successeur de Didier Malhusson, Daniel Picard, désireux de rétablir la discipline. Son compte est vite réglé : « les ennemis de la réforme », comme les baptise Dom Calmet, « avaient mis des araignées venimeuses dans son potage ». Fin de la partie ? Le Père Servais de Lairuelz, nommé abbé en 1600, ne lâche pas l’affaire et va être à l’origine du transfert de l’abbaye. Ancien étudiant de l’université jésuite de Pont-à-Mousson, Servais de Lairuelz voit dans ce grand déménagement une opportunité pour relancer de zéro une nouvelle communauté de Prémontrés et d’effacer les errements du passé.

©Prémontrés_1468_Cloitre jardin des senteurs

Une architecture novatrice

En 1608, la première pierre est posée et les chanoines viennent s’installer dans leurs nouveaux bâtiments en 1610. De cette première abbaye, il ne reste que peu d’éléments, comme les deux portails de style Louis XIII de l’aile Est, car elle fut en grande partie rasée. L’édifice que nous connaissons aujourd’hui est donc celui imaginé au début du XVIIIe siècle par deux architectes prémontrés : Thomas Mordillac, relayé à sa mort par son élève Nicolas Pierson. Le premier établit les plan de l’abbaye actuelle, avec son carré claustral formé par les bâtiments conventuels et au sud ceux de l’église. De l’abbatiale Sainte-Marie-Majeure, il fera le premier exemple d’église-halle de style classique de Lorraine dotée d’une façade baroque. Le second parachèvera l’œuvre de son maître. Il donnera ses dernières touches à l’église et conçoit la bibliothèque sur le modèle de l’Ambrosienne de Milan, indispensable du fait de l’université jésuite toute proche. Détruite dans un incendie en 1771 puis un autre en 1944, celle-ci abritait au XVIIIe siècle 25 000 livres anciens et incunables sur deux étages. Ce joyau architectural fera dire à Dom Calmet : « c’est maintenant une des plus belles et des plus accomplies de toutes les abbayes de la province, mais elle se distingue encore plus par la régularité de ses religieux que par la magnificence de ses bâtiments ».

©Prémontrés_cour d'honneur

Le souffle de la révolution

Dès 1789, appartenir à un ordre religieux n’est plus très tendance. Une à une les communautés se dispersent et nombre de couvents sont fermés. Les bâtiments conventuels sont très souvent pillés, démembrés, transformés en carrières de pierres ou rachetés une bouchée de pain pour être convertis en autre chose. L’Abbaye des Prémontrés n’échappe pas à ce triste sort. En 1792, l’Abbé Lallemand et ses protégés sont forcés de quitter leur demeure. Abandonnée pendant 25 ans, elle deviendra un temps un petit séminaire entre 1817 et 1830 puis de 1936 à 1906. Mais la loi de séparation de l’église et de l’état change la donne et le petit séminaire est fermé. En 1912, la ville de Pont-à-Mousson rachète l’Abbaye classée Monument historique deux ans plus tôt. Après deux guerres, des incendies et bombardements destructeurs, Sainte-Marie-Majeure vit une troisième jeunesse grâce aux « Amis des Prémontrés », qui la sauve in extremis de la destruction en 1945. La ville cède la gestion de l’Abbaye à l’association qui décide de son sort : elle deviendra un centre culturel.

©Prémontrés_Abbaye_vue_avion

Un pôle touristique

Aujourd’hui, l’Abbaye des Prémontrés donne le ton à chaque saison. Après la fête régionale de la truffe Lorraine, ce pôle d’attractivité culturelle achève gracieusement l’hiver et prépare le printemps avec de nouvelles couleurs. Entre les 14 et 16 mars, le festival de théâtre « La Mousson d’Hiver » y fera escale en parallèle de l’exposition consacrée à l’artiste Rosanna Charlier, du 26  février au 24 avril. Et puis les parfums printaniers viendront nous enivrer quand le Jardin des Senteurs fleurira dans le cloître. À côté de cette programmation culturelle riche, le site offre aussi de nombreux avantages aux touristes français ou étrangers. Ainsi, quelques privilégiés pourront profiter de la présence d’un hôtel trois étoiles au sein de ce lieu incroyable. Sur soixante-dix chambres, une trentaine est installée dans les anciennes cellules des chanoines, agrandies et redécorées, dans le cœur du bâtiment historique. Réceptions en tous genres ou séminaires d’entreprises, touristes de passage, l’Abbaye des Prémontrés a retrouvé son élan d’antan, faisant se rencontrer des publics de provenances et d’intérêts différents dans une paix retrouvée. Aucun risque de trouver des araignées venimeuses dans sa soupe !

Plus d’informations sur le site > abbaye-premontres.com