Tapies au creux de fougères, dissimulées derrière une roche à la silhouette étrange, sous le bruissement d’une rivière ou dans l’ombre d’un hêtre, de curieuses créatures peupleraient la Lorraine. Effrayantes ou bienveillantes, elles continuent de nous fasciner et d’enrichir les recueils de contes et légendes régionaux. Où donc se cachent-elles et qui sont-elles ? Partons à leur découverte…
Fière de son patrimoine naturel, historique et artistique, la Lorraine oublie parfois de mettre en valeur son folklore. Car fées, lutins ou sorcières ne sont pas l’apanage des contes et légendes celtiques. Certes la fée Morgane n’a jamais emprisonné ses amants sous le lac de Gérardmer et au clair de lune, aucun korrigan ne vient danser sur les plaines meusiennes. Mais d’autres personnages merveilleux ou mythiques ont foulé le sol lorrain à l’instar du Graoully, le terrible dragon messin. Et comme le Petit Poucet, des légendes ont semé des cailloux un peu partout sur le territoire et donnent à ce dernier un relief particulier. « Il fut une époque où les gens sortaient peu. La seule distraction était la veillée : tout le monde se retrouvait dans une pièce et ceux dotés du don de parole faisaient plaisir aux autres en leur racontant des histoires », décrit Christian Hermann, conteur « Ducs et Cie » avec Christian Luzerne. Si cette tradition s’est effacée peu à peu, les histoires, elles, sont restées. Encore aujourd’hui, ces récits fantastiques, inquiétants ou amusants, continuent de fasciner le public. Preuve de cet engouement, le métier de conteur, longtemps éclipsé par les écrans de cinéma, s’invite dans les écoles et les salles de spectacle, quand il ne joue pas les guides touristiques. À l’exception de ceux imaginés par Charles Perrault ou les frères Grimm, les contes populaires sont passés de bouche de conteur à oreille de spectateur pendant longtemps. Les contes sont donc périssables s’ils ne sont pas couchés sur papier. Et les légendes, même localisées, si elles restent dans les plis de la mémoire d’un seul individu sans être partagées, sont tout aussi vulnérables. Le temps presse.
Conte y es-tu ?
Certains sont déjà partis à la recherche de ce patrimoine immatériel. En Lorraine, entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle, Emmanuel Cosquin a recueilli tous les récits populaires du village meusien de Montiers-sur-Saulx. Quant à lui, Roger Maudhuy a pris le relai de folkloristes comme Claude Seignolle ou Albert Doppagne. « J’ai conservé une démarche d’historien. Au début, je travaillais sur des archives. Et puis, je me suis rendu compte, grâce à Albert Doppagne, qu’il y avait encore des récits non publiés. Il restait un trésor inexploré dans la tête des gens et il fallait le mettre à l’écrit. Mais le travail de sauvegarde est immense. Il faudrait que l’on soit trois cents folkloristes et on n’est pas vingt en France », ajoute-t-il. En Lorraine, son terrain de prédilection, il mène l’enquête depuis plus de vingt ans et a consacré à son terroir plusieurs ouvrages comme « La Lorraine des légendes » (prix du Livre lorrain et prix du Chercheur 2006), « Contes des pays lorrains » (prix Mélusine 2009), « Contes, légendes et croyances des Vosges » (prix Alfred Haroun 2011). Mais folkloristes comme conteurs, tous le constatent : les contes sont voyageurs. « Par exemple, j’ai retrouvé en Lorraine et en Bourgogne, une histoire déjà présente dans la tradition hongroise, « Les deux bossus ». Cela se déroule un jour de Sabah. Les deux bossus sont bûcherons et l’un des deux, à la fin de sa journée, s’aperçoit qu’il n’a pas fini son travail. Il reste donc dans la forêt mais s’endort. Quand il se réveille, il fait nuit. En voulant rentrer chez lui, il va se perdre et tomber sur une farandole menée par le diable lui-même… », raconte le duo « Ducs et Cie ».
Enfer et damnation
Pourtant certains récits semblent propres à notre contrée. Quelques uns se sont emberlificotées sur les tours de châteaux lorrains ou autour du chapeau d’un personnage local. Ainsi, selon Roger Maudhuy, les Lorrains ont un du mal à admettre la mort de Jeanne d’Arc en 1431 sur le bûcher. Dans l’église de Pulligny, une tombe dévolue à une certaine Jeanne des Armoises a été le centre de spéculations sur la survivance de la Pucelle. À l’instar d’autres imposteurs, ladite Jeanne des Armoises se serait fait passer pour Jeanne d’Arc, avant d’être démasquée par le roi Charles VII. À travers ces légendes, une trame historique se dessine, comme l’atteste Roger Maudhuy : « La Lorraine est un pays d’entre-deux, objet de convoitise de plusieurs territoires comme la Bourgogne au XVème siècle ou l’Allemagne beaucoup plus tard. La guerre de Trente Ans (1618-1648) a décimé de nombreux hommes en Lorraine et en Franche-Comté. Dans ce cadre, l’histoire du chasseur sauvage de La Mothe est symbolique : en trahissant son camp au profit de celui des Français, un chef de la garnison lorraine aurait été condamné à chasser éternellement une proie qu’il n’attrape jamais. Ce récit marque la conservation de l’indépendance lorraine. ». D’autres noms encore font frissonner les petits enfants de peur comme celui de la Gnädig Dame de Freistoff ou de Yolande de Bar dans « la partie germanique de la région », note le folkloriste. Telle Élisabeth Báthory, la comtesse sanglante hongroise, ces deux dernières laissent derrière elles des réputations effrayantes dignes du « Croque-Mitaine ». De plus, dans bien des contes et légendes se nichent des éléments religieux. À Metz, quand Saint-Clément terrasse le Graoully, il met en fait à bas le désordre du polythéisme et instaure l’ordre chrétien.
Des fées sur le berceau de la Lorraine
Folklore signifie « savoir du peuple ». Avant que le christianisme ne s’impose, le peuple expliquait parfois certains phénomènes par la présence de fées. Les Vosges semblent propices à leur installation. D’ailleurs, le nom même du département vient d’un dieu gaulois de la forêt, Vosegus. Parmi un panthéon féerique, Nicole Lazzarini, auteure d’ouvrages sur le patrimoine lorrain, évoque la fée Polybotte, au corps de déesse et à la tête de vieille femme, retirée au cœur de la vallée de la Vologne : « elle tombe amoureuse d’un chevalier qui a perdu son chemin et qu’elle accueille dans son repère. Malheureusement, ce dernier est marié. Il cherche donc à partir et à retrouver son épouse. Alors, Polybotte le transforme en glace et le garde à jamais avec elle ». Le destin de la fée Herqueuche, logée près de Gerbépal, est aussi peu brillant. Cette dernière ne supportait pas les lavandières qui lavaient leur linge le Vendredi Saint. Si une laveuse imprudente ne respectait pas cette règle et si Herqueuche réussissait à poser le pied sur elle, la pauvre mourrait dans l’année. Un jour, après la mort d’une compagne, les lessiveuses se sont rebellées et ont noyé la fée. « Les fées sont les premiers habitants de nos forêts. On les retrouve dans une flopée de noms de lieux : le trou aux fées, le jardin des fées… Le mythe de ces êtres merveilleux a été condamné par certains canons de l’église car on y voyait la résurgence de l’ancien druidisme. Et très souvent elles sont liées à l’eau comme l’Ondine de la Nied, en Moselle», détaille Roger Maudhuy.
Reinventer
Les folkloristes ravivent par l’écrit des récits sur le point de s’éteindre. Les conteurs eux font le chemin inversent, ressuscitant la tradition orale et la réinventant à la lumière de leur propre imagination. Christian Hermann et Christian Luzerne, pour « Ducs et Cie », ou Stéphane Kneubuhler, alias « le Colporteur de Rêves », ont dévoré des milliers d’histoires d’ici ou d’ailleurs. « À nos débuts, nous nous sommes tournés vers des contes anciens et nous nous sommes aperçus qu’ils n’étaient plus dans l’air du temps. Par conséquent, nous nous sommes mis à en rescénariser certains ou à en écrire de nouveaux », soulignent les deux Christian, frères d’âme dans le domaine des contes et légendes. Et puis, il y a aussi des auteurs capables de donner à des contes traditionnels un nouveau souffle, à la fois proche et lointain de la version originale. En Lorraine, les éditions Feuilles de Menthe s’évertuent à faire redécouvrir aux enfants et aux parents des légendes locales. « Nous voulions rafraîchir le folklore alsacien et lorrain et le remettre au goût du jour. Nous demandons à nos auteurs et illustrateurs d’avoir une connaissance du territoire mais également de savoir s’en affranchir », explique Anne Clévenot, responsable éditoriale. Pour une de leur collection, Lionel Larchevêque s’est amusé à revisiter l’histoire du mythique dragon messin dans « Clémentine et le Graoully ». Il s’est occupé à la fois du texte et des illustrations. Dans son livre, Clémentine, une petite fille espiègle, prend la place de Saint-Clément, et le Graoully s’avère être bien moins méchant qu’il n’y paraît. Mais comme dans la version originale, l’artiste a tenu à implanter son récit au IIIème siècle, au temps où Metz était Romaine et, pour se faire, a réalisé des recherches poussées sur le décor de cette époque. « Comme Lionel Larchevêque, nos auteurs imaginent des histoires qui aident les enfants à grandir, des récits initiatiques, tout en gardant les ingrédients du folklore régional », note Anne Clévenot. Dominique Poirot-Goury a aussi inventé ses propres contes lorrains. Ses récits ne font pas référence à des histoires préexistantes mais elle utilise certains lieux de sa région comme écrin. Ainsi, elle a créé « La sorcière de la pépinière » ou les « Lutins de la forêt de Haye ». À travers ces contes et légendes, passés ou présents, les Lorrains peuvent enfin explorer leur région et voir des aspects peu connus de son histoire. À partager entre petits et grands, sans dormir debout.
Plus d’informations sur :« Ducs et Cie » : http://www.ducsetcie.fr/.
Les éditions Feuilles de Menthe proposent une collection sur les gourmandises régionales avec pour chacune une histoire à découvrir. Lionel Larchevêque, en collaboration avec la dessinatrice Clothilde Perrin, a écrit un livre sur le Mannele, ce petit homme brioche alsacien. Il existe aussi des récits sur l’origine des madeleines ou du kougelhopf : http://www.boutique-feuillesdementhe.com/fr/.
Roger Maudhuy sort en 2015 un nouvel ouvrage « Récits de la Lorraine fantastique » (Éditions Yoran Embanner).
Les livres de Dominique Poirot-Goury sont publiés en autoédition et sont disponibles dans la limite des stocks disponibles (mail : [email protected]).