Du 9 au 17 mai, le fantôme de Camille Claudel vient hanter les sommets de La Bresse et la 24e édition de son festival international de sculpture. Pendant une semaine, des sculpteurs du monde entier viendront lui rendre hommage à coup de ciseaux ou de burin. Et les visiteurs, amateurs ou avertis, pourront flotter dans un univers de courbes et de volumes.
Créé en 1990, le festival international de sculpture de La Bresse est devenu un des rendez-vous lorrains à ne pas rater pour tous les passionnés d’art. Au départ dédiée à la sculpture sur bois, la manifestation s’est ouverte par la suite à d’autres matériaux et accueille aussi bien des céramistes que des sculpteurs sur pierre ou métal. Pour sa 24e édition, les visiteurs vont pouvoir déguster des yeux les œuvres d’artistes de France et d’ailleurs.
Amuse-bouche
Le festival Camille Claudel jouera les gourmets de bien des façons. Le ton est déjà donné par l’affiche du millésime 2015, réalisée par Olivier Claudon. Avec « l’Avaleur », l’artiste s’est plongé dans la mythologie grecque à travers cette « Méduse » revisitée. À la place des serpents qui sifflent sur sa tête, la créature a changé de perruque pour une batterie de cuillères. « Cette réinterprétation peut être vue comme le symbole du pouvoir de la nourriture sur l’homme, […] le pouvoir hypnotique des aliments sur notre cerveau et sur notre estomac », explique son créateur. Entre attirance et répulsion, les sculpteurs pourront donc explorer avec richesse le thème de la « gourmandise » tout au long de la manifestation. Pour associer plaisir des pupilles à celui des papilles, les élèves du lycée hôtelier de Gérardmer mettront leur patte à l’exposition sur le chocolat à la Halle des Congrès. Le jeudi après-midi et toute la journée du samedi, ils façonneront un bloc de 10 kg de cacao. De quoi faire saliver les esthètes.
Interactif
Ouvert au grand public, la volonté du festival est de rendre la sculpture accessible au plus grand nombre. Il a donc développé au cours de son existence un jeu de regards et de partages. Pendant le symposium, les visiteurs peuvent observer la naissance d’une œuvre en direct, sous les mains de sculpteurs français et étrangers. Cette année, quatre cents élèves des écoles, collèges et lycées locaux sont aussi amenés à participer à cette aventure collective à travers des ateliers dirigés par des sculpteurs. Certains de leurs travaux réalisés en amont de l’évènement seront exposés. Les commerçants de la ville mettent aussi la main à la pâte et valorisent les pièces d’artistes professionnels ou amateurs dans leurs vitrines. À la Maison de La Bresse, les festivaliers pourront remonter le temps et découvrir les sculptures des années précédentes. Ils y retrouveront les créations de Martine Cassar, invitée d’honneur de cette 24e édition. Du 9 au 17 mai, le cœur de La Bresse bat au rythme des burins, des animations musicales et des spectacles de rue. Une passion vibrante qui n’aurait pas déplu à la « marraine » du festival, Camille Claudel.
La sculpture part en live
Clé de voûte du festival, le symposium est à la fois un concours autour du thème de la « gourmandise » et une rencontre entre le public et des sculpteurs venus montrer la diversité de leur art. Sur pierre, métal ou bois, ils réaliseront leurs pièces sur place sous les yeux curieux des visiteurs. « Ne pas déranger, travail en cours » !
Assister à la naissance d’une œuvre n’est pas chose commune et le festival international de sculpture de La Bresse est un des rares à proposer cette expérience grâce à son symposium. À l’origine, le terme désigne une réunion de spécialistes (scientifiques, artistes, philosophes…) qui débattent d’un sujet particulier, propre à leur champ d’expertise. Le Festival Camille Claudel lui a donné sa propre définition en mettant en contact public et artistes. Pour la 24ème édition, vingt-et-un artistes participent à cet exercice difficile : réaliser une sculpture sur le vif.
Cosmopolite
Argentine, Espagne, France, Canada, Allemagne, Roumanie, Burkina Faso ou Congo, les sculpteurs du symposium viennent des quatre coins du monde pour créer une pièce dans le cadre de la manifestation. Au total, sept à huit nationalités ont traversé les continents pour se retrouver sur les sommets vosgiens. Ces créateurs offrent tous un regard différent sur leur art et une riche palette d’émotions et d’expressivité. « Nous avons décidé du thème de cette année en septembre 2014 et les artistes avaient jusqu’à décembre pour déposer leur candidature. Ils ont ensuite été sélectionnés sur maquette ou dessin par un jury éclectique mêlant professionnels et amateurs. Parmi les vingt-et-un artistes choisis, quinze sont des professionnels et six sont des élèves issus de formations comme celle de Neufchâteau », détaille Xavier Battistella, chargé de communication pour le festival. Cette année, le symposium illustrera essentiellement les pratiques de sculpture sur pierre ou sur bois. Une fois arrivés sur le lieu de création, atelier éphémère ouvert aux regards, les participants tirent au sort des blocs de matière vierge à modeler.
Précision
Pour Christian Claudel, sculpteur et conseiller technique de l’évènement, « pratiquer la sculpture en taille directe sur bois ou sur pierre, c’est mener à bien une réalisation en volume […] sans dessin préalable : seuls quelques repères sont nécessaires pour guider l’ébauche […]. Puis le sculpteur, sûr de son geste, entre dans la matière sans se laisser le droit à l’erreur ». Le symposium exige donc de ses créateurs de la précision mais aussi un sens de l’adaptation, en fonction de l’essence de bois ou du type de pierre. En l’occurrence, les matières utilisées sont essentiellement locales, du tilleul rosé de Gerbamont au granit de La Bresse, le « bleu-gris ». Dans ces dernières, par petits coups de burin, de gouge ou de ciseaux, les sculpteurs du symposium vont façonner leur idée de la « gourmandise », thème de cette année. Entre abondance, sensualité et dérive, l’appétit humain est remis en question. La sculpture, elle, se sert à toutes les sauces et se consomme avec délice du 9 au 17 mai à La Bresse.
Camille Claudel : esprit es-tu là ?
Depuis plus de vingt ans, La Bresse ressuscite tous les ans l’esprit de Camille Claudel. Née dans l’Aisne en 1864, bien loin des reliefs vosgiens, la sculptrice était petite-fille de Bressauds. C’est donc tout naturellement que la ville lui rend hommage chaque année.
Originaire de Fère-en-Tardenois, la jeune fille développe très tôt une passion pour la sculpture. Ses talents sont repérés rapidement et en 1881, à l’âge de quinze ans, elle suit les cours de l’Académie de la Grande Chaumière, guidée en partie par le sculpteur Alfred Boucher. En 1883, Auguste Rodin remplace ce dernier, parti à Rome. Dans l’atelier de Rodin, elle aidera à la réalisation de certaines parties de compositions du maître tout en travaillant en parallèle sur ses propres idées. Les histoires d’amour finissent mal et celle des deux artistes n’échappera pas à la règle.
Dégringolade
À partir de cette séparation en 1890, la sculptrice continue à créer quelques temps puis de moins en moins. En 1913, elle est internée à l’asile de Ville-Evrard à la demande de sa mère. Elle finit ses jours en 1943 au centre hospitalier de Montfavet à Montdevergues. Parmi les premières femmes à marquer la sculpture de son empreinte, Camille Claudel distillera dans ses œuvres une intimité et une sensualité qui fera sa renommée. Malgré tout, son talent restera souvent caché, et son nom irrémédiablement attaché à celui de Rodin. En 1988, le film de Bruno Nuytten avec Isabelle Adjani ravive l’intérêt pour l’artiste. Deux ans plus tard, le festival de La Bresse voit le jour et, depuis ce temps, reste placé sous sa bonne étoile…
Le festival de sculpture Camille Claudel, du 9 au 17 mai. Pour plus d’information : festival-sculpture-la-bresse.fr