Si La Femme-Messie pose de nombreuses questions comme l’amour entre deux femmes, les dévastations environnementales d’un capitalisme industriel prédateur, l’injustice, l’amitié, la mort, c’est aussi un page-turner qui a le souci de raconter une histoire. Ou plutôt des histoires. En effet, chacun des personnages suit un arc narratif qui lui est propre, et qui, isolé du reste, pourrait fort bien constituer la trame d’une nouvelle indépendante et même d’un roman à part entière à la manière des personnages de Balzac ou de Faulkner.
Il y a de l’énergie et beaucoup de passion dans l’écriture « Reumausienne » et il y a aussi de l’oulipo notamment quand l’auteur s’amuse à adopter différents styles, se coulant tour à tour dans le genre du thriller, du roman politique ou psychologique, et allant même musarder du côté de la littérature historique.
Il y a Agathe, doctorante qui a fait « un tour de France solitaire de cinq mois visant à convaincre les ouvriers de s’unir pour mettre fin à leur exploitation » sur les pas de Flora TRISTAN et puis il y a Manu, « ancien comptable qui bosse pour un éditeur de polars », « nègre pour romans noirs » et Maya, apicultrice, reine des abeilles, et Ramsay… et à travers tous ces personnages attachants, l’auteur explore le gouffre abyssal entre les aventures rêvées de jeunes idéalistes épris de justice et la réalité souvent âpre et douloureuse d’une société moderne toujours plus avide de profits financiers au détriment de la planète.
Le tour de force de l’auteur, c’est qu’une fois le cadre posé, le récit suit une logique cohérente et, pour adopter le ton des quatrièmes de couverture, « implacable ». L’adjectif semble de rigueur, car dans ce texte la réflexion de fond sur notre société se déploie sur un rythme qu’on a plutôt l’habitude de trouver dans un seul type de texte comme le roman, l’essai, la poésie ou le théâtre.
L’originalité de La Femme-Messie est de mêler avec brio plusieurs genres, à la fois romanesque, épistolaire, politique, historique, sociétale, sociale voire poétique où les voix des personnages se font entendre chacune à leur manière, se faisant souvent écho. Comme dans une chorale, divinement orchestrée, ces voix délicatement entremêlées nous parlent dans un bourdonnement harmonieux telles des abeilles dans une ruche. Ces voix ce sont celles d’un foisonnement de personnages qui ne se résignent pas à voir l’humanité transformée « en un élevage de rats de laboratoire». Bernard Reumaux explore le gouffre abyssal entre les idéaux rêvés et vécus et l’engagement d’une jeunesse militante pour un monde meilleur et pour faire face à la réalité d’un capitalisme dévorant et destructeur insensible au monde des abeilles, des fleurs et des lucioles et par là même insensible au sort de l’humanité. Ne dit-on pas que la fin des abeilles serait aussi celle de l’humanité ?