Julia Vidit a fait de la recherche de la vérité son graal artistique, son mantra, un thème qu’elle explore création après création. Et quand il s’agit d’adaptations, plutôt que de choisir les « tubes » d’un auteur, elle s’intéresse en priorité à ses œuvres mineures ou de jeunesse, sous réserve que celles-ci fassent écho à des problématiques contemporaines tout en racontant quelque chose de leur période de naissance. L’ambition de la metteuse en scène ? « Aller au cœur de l’œuvre » tout en la désacralisant, « re-coloriser le passer », « souffler sur la poussière ».
Pour revisiter « C’est comme ça (si vous voulez) » de Pirandello, œuvre visionnaire de 1917 faite de faux semblants, de doutes collectifs, de théorie du complot avant l’heure, Julia Vidit a collaboré avec l’auteur Guillaume Cayet, et prolongé la pièce d’un acte IV liant passé et monde contemporain. En fouillant dans les tréfonds de l’âme humaine, ce volet additionnel (et fin alternative) pousse à son paroxysme la folie présente dans l’œuvre originelle : pour connaître la vérité, les personnages sont prêts à tout, y compris au pire.
Le pitch ? L’arrivée d’un nouveau fonctionnaire, Monsieur Ponza, suscite l’émotion d’une petite sous-préfecture. Sa conduite intrigue : il semble séquestrer sa femme, dont il semble empêcher la mère, Mme Frola, de lui rendre visite. Lui-même se rend chaque jour chez Mme Frola, à qui il interdit de recevoir quiconque. Pourquoi ? Haut fonctionnaire et voisin de Mme Frola, Agazzi veut comprendre. La vieille dame lui livre alors la clé du mystère : son gendre est fou. Mais Ponza accuse, lui aussi, sa belle-mère d’être folle. Qui croire ? Laudisi, un parent d’Aggazi, s’amuse de ces scenarii, tous plausibles. La curiosité s’accroît à mesure que la pièce progresse vers un dénouement… inattendu.
Représentations :
Mardi 1er mars à 20h
Mercredi 2 mars à 19h
Jeudi 3 mars à 14h30 & 20h
Vendredi 4 mars à 20h
Samedi 5 mars à 19h
Dimanche 6 mars à 14h30
Qui fut Luigi Pirandello ?
Né à Girgenti en 1867, il publie en 1894 « Amours sans amour », son premier recueil de nouvelles. Le théâtre dans le théâtre, sa thématique de prédilection, donnera lieu à ses pièces les plus célèbres : « Comme ci (ou comme ça) », « Ce soir on improvise » et « Six Personnages en quête d’auteur ». En vingt ans, il écrira 43 pièces qui le feront connaître à travers le monde et obtiendra, en 1934, le prix Nobel de littérature. Convaincu que les hommes ne peuvent se comprendre car la parole ne peut exprimer correctement la réalité – et que même si elle le pouvait, la subjectivité de chacun continuerait d’en brouiller le sens – il mourra, en 1936, d’une pneumonie venue mettre un terme à son « séjour involontaire sur terre ».
J’ai testé pour vous… les répétitions publiques de « C’est comme ça (si vous voulez) »
Des répétitions publiques… Le concept peut interroger. Car répéter, c’est huiler une mécanique, c’est se roder, c’est donc se tromper aussi, tout ça pour préparer l’après, la partie émergée de l’iceberg (une gestuelle maîtrisée, des textes au cordeau). Et puis dévoiler l’envers du décor, c’est prendre le risque de trop en dire, de briser le charme. Mais c’est aussi attiser la curiosité du visiteur, faire preuve d’humilité et de volonté de partage.
J’ai donc voulu tester.
L’entrée et le placement (aléatoire) des spectateurs se fait sous l’œil attentif des neuf acteurs. Certains sont assis sur scène, d’autres sont installés au premier rang et profitent de cette pause forcée pour souffler. Sur scène, un décor tout en escaliers. Illico, je suis transportée ailleurs, quelque part entre rêve et réalité, dans une sorte de cinquième dimension. L’impression, perturbante, d’être entrée dans ma télé, ou que les acteurs sont sortis du cadre. Les costumes, l’esthétique et l’atmosphère ambiante renforcent mon sentiment d’avoir été conviée à un Cluedo à taille humaine, à un grand échiquier de la vérité.
En charismatique maître du jeu, Julia Vidit, metteuse en scène de la pièce et directrice de la Manufacture, nous salue, résume son parcours et son cheminement artistique puis introduit, par le menu et le prénom, chaque protagoniste de l’affaire : costumière, scripte, assistante à la mise en scène, équipe son, équipe lumière, acteurs… A la suite, chaque comédien et comédienne déclinera sa double identité (nom de scène/nom de ville) ainsi que son lien avec les autres personnages. Involontairement ou non, chacun.e laisse entrevoir, par sa voix, ses mimiques, ses intonations, à la fois son expérience de la scène et sa personnalité (la sienne ou celle de son alterego fantasmé ?). L’alchimie est présente, l’énergie aussi. Trop nombreux pour rendre la politesse en se présentant à leur tour, les spectateurs se manifestent par des rires et une présence radicale : ils sont tous pleinement à leur affaire.
Julia Vidit nous interroge ensuite sur notre perception du décor, un bloc en trompe-l’œil à multiples paliers et autant (si ce n’est plus ?) d’escaliers, symboles de quête éternelle de vérité. Le prologue ainsi posé, elle nous explique à quel moment de l’intrigue la scène répétée se situe au tout début de l’acte II –, évoque les forces et questionnements en présence.
On y est ! Privilégiés que nous sommes, nous allons assister à une officialisation en puissance, à la construction d’un maillon indispensable de la pièce à venir…
Tandis que les spectateurs retiennent leur souffle, l’élan quasi-chorégraphique insufflé par la metteuse en scène se transforme, essai après tentative, en mouvement collectif. Du fond de mon fauteuil, j’oscille entre admiration, empathie et joie.
L’heure se conclura de manière interactive avec une séance de questions-réponses et l’enregistrement de supplications collectives (son qui alimentera la bande originale de la pièce). Puis nous laisserons les travailleurs travailler, et partiront comme nous étions venus : sur la pointe des pieds.
Cécile Mouton
Au théâtre de la Manufacture, 10 rue Baron Louis à Nancy • www.theatre-manufacture.fr
Publireportage - Photos © Anne Gayan , DR