Gérard Dabonot est un spécialiste rare : avec sa société « Le Turlutain » basée à Sommerviller, il fabrique des partitions perforées pour les orgues de barbarie.
Turlutaine » est un mot qui désignait, à l’époque, les serinettes fabriquées dans les Vosges, celles-ci étant destinées à seriner, donc à apprendre aux oiseaux – les serins venant principalement des « Isles de Canaries » – à siffler de courts airs à la mode. La serinette est donc l’ancêtre des orgues de barbarie !« En Lorraine, on dit souvent “Arrête de me seriner” ou en patois “Fais pas ta Turlutaine !” » s’amuse Gérard Dabonot. « J’ai gardé ce nom pour mon entreprise car on m’appelle souvent “le Turlutain”. C’est un nom qu’on retient, c’est le principal ! » En 1992, Gérard Dabonot lance sa société spécialisée en papiers et cartons perforés pour les orgues de barbarie avec son acolyte Ludwig Rodehüser. Les deux passionnés sont complémentaires : le premier est le créatif du duo, le second s’occupe de la technique. Même si ces instruments deviennent de plus en plus rares, les rouleaux perforés sont à l’orgue de barbarie ce que la partition est au piano : indispensables. « Aujourd’hui, nous ne sommes plus que deux producteurs en France pour les papiers perforés et nous devons être quatre ou cinq pour les cartons » précise Gérard Dabonot qui tient entre ses mains un savoir-faire séculaire.
Découpe au laser
Celui qu’on surnomme « le Turlutain » découvre la musique d’orgue de barbarie grâce à des forains qui s’installaient devant chez sa grand-mère : « Ils avaient un disque que l’on ne passait qu’en semaine car, le week-end, les enfants préféraient les hits à la mode » rigole-t-il. Plus tard, il rencontre Jean-Pierre Ziegler, « tourneur » bien connu des Nancéiens qui passaient par le marché aux puces de la ville-vieille : « Grâce à lui, j’ai compris le fonctionnement l’instrument. J’ai d’ailleurs acheté le même orgue de barbarie que lui ! Après, je lui ai confectionné quelques rouleaux… »
Aux débuts du « Turlutain », Gérard Dabonot trouait manuellement chaque partition : « On avait une machine classique à poinçon fixe. C’était fastidieux, on traçait à la main et on avait un type de machine pour chaque type d’orgue. » À savoir qu’une mélodie de huit minutes nécessite… entre 40 000 et 50 000 trous ! « Nous avons donc fait le choix d’investir, il y a 5 ans, dans une machine à découpe laser que nous avons fait venir d’Angleterre. Aujourd’hui, on peut aussi bien faire des trous sur papier que sur carton, tous formats, ce qui nous permet d’accéder aux plus imposants orgues de foire et limonaires » explique-t-il. Pourtant, le pari n’était pas gagné : cette machine était à l’origine destinée à la découpe de tissus. « Mais nous avions un ami informaticien, aussi passionné que nous, qui a conçu un logiciel adapté pour convertir nos partitions sur ordinateur et ainsi les envoyer à la machine. »
Boîtes à musique programmables
Au fil des années, Gérard Dabonot a su se diversifier. S’il travaille à l’international avec des clients d’Allemagne, de Finlande, d’Estonie et même des États-Unis, force est de constater que l’orgue de Barbarie attire moins : « C’est un vieil instrument, qui coûte au minimum entre 3 000 et 4 000 euros pour un modèle basique… C’est sûr que tout le monde ne peut pas s’en offrir un ! » Alors il a une idée : concevoir de petites boîtes à musique programmables. Les cartes peuvent déjà être perforées selon un air « ou les gens peuvent les perforer eux-mêmes pour créer leur mélodie. Ça a un grand succès, surtout auprès des enfants qui sont fascinés par la musique mécanique. C’est vrai…. On tourne une manivelle et ça fait de la musique, c’est magique ! » s’enthousiasme Gérard Dabonot.
Jamais à court d’idées, le « Turlutain » décide aussi de rentabiliser sa machine à découpe laser en fabriquant des objets de décoration de Saint-Nicolas ou de Noël : petits sapins ou petits orgues en bois, boîtes en métal à l’effigie du Saint-Patron… « Notre machine nous permet de découper différents matériaux comme le métal. Ce que j’aime aussi, c’est proposer un produit ludique comme des crèches à construire pour le faire en famille. » Les créations de Gérard Dabonot sont d’ailleurs en vente à chaque période de Noël à l’Office de Tourisme de Nancy.
Estampillé La Lorraine Notre Signature
Véritable artisan lorrain, les produits du « Turlutain » sont estampillés « La Lorraine Notre Signature » depuis deux ans. Gérard Dabonot a rejoint cette démarche pour promouvoir son ancrage local : « C’est important de revendiquer ses origines et d’être fier de produire en Lorraine. Ça me permet aussi de rencontrer d’autres producteurs et de contribuer à une organisation qui certifie ce “Made in Lorraine”. »
L’histoire a commencé dans les années 80 et elle est aujourd’hui riche d’une kyrielle de souvenirs. Des festivals d’orgue à travers toute l’Europe aux créations de partitions de musiques diverses, la passion de Gérard Dabonot ne faiblit pas avec le temps. Retraité de son métier d’animateur socio-culturel dans les foyers ruraux, il gère aujourd’hui, en auto-entrepreneur, son affaire « pour le plaisir de la musique mécanique ». Et lorsqu’il active la manivelle faisant résonner la musique du Troisième Homme composée par Anton Karas, l’émotion est palpable : « Pour moi, c’est la musique du spectacle de marionnettes que j’allais voir lorsque j’avais 3 ans. Ils passaient cette musique pour nous faire patienter… c’est l’une des partitions que je préfère jouer. »
Pauline Overney
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Photos © DR, Stéphanie Lorrain