La Fête des jonquilles est une vieille dame vosgienne qui ne prend pas une ride. Pour cette 48e édition, les Gérômois retroussent leurs manches pour les préparatifs. Retour sur l’histoire de cette fête devenue mythique.
Chaque printemps, la jonquille envahit les coteaux de Gérardmer. La « Perle des Vosges » est alors recouverte de jaune d’or, à perte de vue. C’est en 1935 que les membres de l’Amicale motocycliste gérômoise ont l’idée de décorer leurs bécanes avec ces fleurs jaunes. Suite à cette initiative, la première Fête des jonquilles a lieu, le 22 avril 1935. Une voiture ouvre le cortège diffusant des airs joyeux dans ses haut-parleurs, suivie de chars en forme d’immense poisson tout en jonquilles, d’une bouteille de champagne géante, d’un moulin à vent, d’œufs de Pâques, de cygnes ou de papillons. La première reine des jonquilles, Andrée Houssemand est élue en 1936, devant une foule de spectateurs enthousiastes. La manifestation connaîtra un coup d’arrêt pendant la guerre, entre 1940 et 1946.
La renaissance
La fête était déjà devenue culte à Gérardmer. Elle repart de plus belle, en 1947, pour sa 6e édition. Malheureusement, la guerre est passée par là. Les Vosges sont abîmées, meurtries. Mais les organisateurs ne baissent pas les bras. En 1958, lors de l’Exposition Universelle de Bruxelles, une tour Eiffel de 17 mètres habillée de jonquilles s’invite sur la place des Déportés. Le président de la République Georges Pompidou, en 1972, vient se mirer dans son portrait de fleurs jaunes. Lors de ses 50 ans, en 1985, la Fête des jonquilles rend hommage aux Etats-Unis en créant une statue de la Liberté, habillée de jaune, de plus de 15 mètres de haut.
Un symbole doré
Chaque année, les chars de la Fête des jonquilles sont de plus en plus impressionnants. En 2015, 2 100 chars avaient déjà été fabriqués. Les constructeurs se mettent à la tâche dès le mois d’octobre, à savoir 6 mois avant la fête ! Une fois la « carcasse » assemblée, il s’agit de l’habiller de jonquilles, préalablement cueillies avec courage et respect par les centaines de petites mains d’écoliers, de collégiens et lycéens du coin. 2 500 à 3 000 fleurs sont nécessaires par mètre carré de grillage ! C’est un travail de patience, d’orfèvre. Aujourd’hui organisée par la Société des Fêtes de Gérardmer, la Fête des jonquilles rassemble en moyenne 50 000 spectateurs venus des 4 coins de la France et du monde. Celle que l’on appelait autrefois la « maudite pousse », qui envahissait les champs des agriculteurs à leur grand désarroi, est devenu un symbole doré, fierté de toute une ville.
Entretien avec Nicole Curtit
Présidente de la Société des Fêtes de Gérardmer
Depuis quand êtes-vous à la tête de la Société des Fêtes ?
Je suis bénévole à la Société des Fêtes depuis 1996 quand une amie m’a proposé de m’engager dans l’organisation de la Fête des jonquilles. Je suis devenue présidente en 2000, après le départ d’Alain Lamare. La passation s’est faite assez naturellement et je suis devenue la première femme présidente du Comité. On est 20 bénévoles ici, c’est une petite équipe mais nous sommes tous motivés et passionnés par ce que l’on fait.
Quelle est la particularité de cette 48e édition ?
Vous savez, chaque édition est un défi. Le concept reste le même, dans la tradition. Nous avons 30 chars qui vont défiler, accompagnés de 18 groupes de musique sur un parcours tracé dans Gérardmer. Ce qui est contraignant cette année, ce sont les dispositifs de sécurité qui sont très importants. Malgré cela, la Préfecture voulait vraiment que l’on maintienne la fête. Nous mettons tout en œuvre pour qu’elle se déroule dans les meilleures conditions.
En plus du défilé prévu le dimanche après-midi, quelles sont les autres animations ?
Avant de faire défiler les chars, il faut les habiller de jonquilles ! Elles sont récoltées par les élèves des écoles, avec l’accord de l’Académie et des directeurs des établissements, le jeudi et le vendredi avant la fête. D’autres bénévoles d’associations viennent donner un coup de main également. Il faut savoir que l’on doit récolter 50 000 bouquets de 50 jonquilles ! Ensuite, la veille de la fête, il y a la soirée de « piquage ». Les chars sont recouverts de jonquilles et c’est un travail qui nous prend toute la nuit ! D’ailleurs, tout le monde est le bienvenu pour apporter son aide et pour participer au piquage des chars. Ils seront exposés dans la ville le dimanche matin, avant le départ du corso.
Qui construit les chars ?
Les gens s’inscrivent, nous indiquent la corpulence de leur char et le thème qu’ils ont choisi. Nous n’imposons pas de thématique car nous ne voulons pas qu’ils se ressemblent tous ! Ce sont généralement des familles ou des groupes d’amis qui les construisent. Ils les installent ici, à la Société des Fêtes ou alors, s’ils ont de la place, ils travaillent chez eux.
Comment expliquez-vous le succès de la Fête des jonquilles ?
C’est une fête de tradition, qui existe depuis 82 ans. Au fil des années, elle attire de plus en plus de curieux. C’est le plus grand corso fleuri du grand Est ! C’est impressionnant, c’est beau ! Et la jonquille, c’est le symbole d’une ville, c’est ce qui a fait connaître Gérardmer. Les Gérômois sont attachés à cette fête qui va bien au-delà des frontières des Vosges. Nous attendons 50 000 visiteurs dont 200 bus de touristes cette année !
La jonquille ne souffre-t-elle pas du réchauffement climatique ?
Non, je ne pense pas. Ce qui nous inquiète vraiment, ce sont les gens qui arrachent les fleurs pour, soit, aller les revendre, soit replanter le bulbe chez eux. C’est une catastrophe car une fois la fleur arrachée, c’est fini, elle ne repoussera plus jamais. Nous aimerions qu’il y ait un arrêté pour réglementer la cueillette et interdire la revente surtout. La jonquille est un patrimoine, nous devons en prendre soin et la conserver.
La fête en chiffres
48 Le nombre d’éditions de la Fête des jonquilles.
9 Avril 2017 le jour J.
600 000 € Le budget de la Société des fêtes.
30 Le nombre de chars en 2017.
18 Le nombre de groupes musicaux en 2017.
400 Le nombre de bénévoles pour l’organisation.
50 000 Le nombre de visiteurs attendus.
2.5 km Le parcours du corso.
Vive la reine !
Elle a les yeux bleus et de longs cheveux châtains clairs. Suzy Ruer est la 48e reine des jonquilles. Elle a gagné la couronne du titre tant convoité face à 11 concurrentes. « Je voulais me lancer un défi » explique la jeune Xonrupéenne de 19 ans. « Je voulais voir ce que ça faisait de défiler devant 800 personnes. » L’étudiante en technique de commercialisation à Nancy n’a rien laissé au hasard pour cette élection : elle a fait revenir sa robe des Etats-Unis, minutieusement ajustée par sa mamie. « Je me suis entraînée à marcher avec mes talons et ma robe chez moi » s’amuse la jeune femme. « J’ai fait le choix de porter une robe longue car pour moi, c’est vraiment un signe d’élégance. » Car plus qu’un concours de beauté, Suzy envisage l’élection de la reine des jonquilles comme un concours de prestance, de classe.
De nature timide, Suzy a réussi à vaincre son stress pendant cette soirée mais aussi grâce au théâtre qu’elle a pratiqué pendant 3 ans, lors de ses années lycée. « L’élection a vraiment été un bon exercice pour moi. Maintenant je me sens plus à l’aise et je pense que je serai moins angoissée pour mes oraux à l’avenir » rigole-t-elle.
Fierté
Elles s’étaient inscrites à deux. « J’avais peur que ma copine m’en veuille un peu. Mais elle m’a dit qu’elle était plus contente pour moi que déçue pour elle. Ça m’a vraiment fait plaisir. » Car, les proches, la famille, les amis, ça compte beaucoup pour la jeune fille. « Quand on a annoncé mon nom, j’ai vu ma famille et mon copain dans le public. Ils étaient tous vraiment heureux pour moi et super émus. » Le titre de reine des jonquilles, Suzy le porte avec fierté. « Je vais représenter la ville de Gérardmer pendant deux ans, c’est énorme pour moi ! » C’est un rêve de petite fille qui se réalise. « Quand j’étais enfant, je voyais la reine des jonquilles venir nous saluer. Je m’imaginais déjà à sa place. Aujourd’hui, c’est moi qui vais à la rencontre des fabricants de chars. Je vais aussi aller cueillir les jonquilles avec les enfants des écoles, c’est super, il y a toujours une bonne ambiance » ajoute la jeune vosgienne. Plus que tout au monde, elle est attachée à ses racines, à sa ville Gérardmer, à « ses montagnes, les Vosges » dont elle parle avec amour et passion.
Histoire de famille
Après la cérémonie, la reine a dû se plier au jeu des photos officielles. Et assumer son nouveau statut. « Tout le monde m’arrêtait dans la salle pour prendre une photo. Mais le mieux, c’était les petites filles qui me le demandaient. Je me suis retrouvée en elles. Elles avaient des étoiles dans les yeux, comme moi à leur âge ! » Suzy et ses deux dauphines doivent maintenant remplir leurs « obligations ». Elles sont allées choisir leurs robes pour le jour J et apprennent à défiler sur leur char pour le corso du 9 avril. Le tout sous l’œil bienveillant de la présidente Nicole Curtit. Le stress laisse place à l’excitation. « Je suis pressée d’être au défilé car il y a toujours une bonne ambiance, c’est une grande famille et c’est toujours impressionnant » s’enthousiasme Suzy.
Car chez les Ruer, la Fête des jonquilles est une tradition familiale. Tous les deux ans, tout le monde met la main à la pâte pour fabriquer les chars et piquer les fleurs. « Ce titre de reine des jonquilles, c’est aussi pour rendre hommage à mes deux grands-pères décédés. Car je sais que cette fête leur tenait à cœur et ils auraient été très fiers de voir leur petite-fille défiler avec la couronne. »
Des chars aux pétales d’or
Ils sont étudiants, travailleurs ou retraités. Ce sont des passionnés. À 3 semaines de la Fête des jonquilles, tous s’activent pour réaliser le plus beau char du corso.
Dans le grand hangar de la Société des Fêtes de Gérardmer, de drôles de constructions commencent à s’ériger. Un Pikachu ici, une pieuvre musicienne par là… Quel chantier ! Au milieu, Alex Beausine s’affaire sur son char. Une silhouette immense d’un joueur de hockey sur glace commence à prendre forme. « Nous avons une équipe de hockey assez bonne dans le coin, du coup, je suis parti sur cette idée ! » Rien n’est laissé au hasard : à l’aide d’un grillage et d’agrafes, le jeune homme façonne son joueur pour lui faire prendre vie. Derrière lui, il y a les buts, remplis de feuilles de vigne rouge, de hêtre ou de platane. « Qu’importe la taille du char, on compte à peu près 6 mois de travail chaque année » explique Alex. C’est sa troisième fête des jonquilles en tant que constructeur. Il travaille main dans la main avec son père. De temps en temps, sa sœur et sa mère viennent apporter leur pierre à l’édifice. « C’est vraiment une histoire de famille. La Fête des jonquilles est une tradition locale à conserver. »
Le volcan de Satan
Plus loin, il y a Alain Moresi. 30 ans d’expérience dans le milieu de la construction des chars. Chaque édition, il relève un nouveau challenge, en poussant encore plus loin le souci de la perfection. Cette année, c’est le « volcan de Satan » qui défilera sous les yeux de spectateurs impressionnés. Le Satan, en fils de fer, sera articulé. Deux lumières rouges clignotantes remplacent ses yeux. Effrayant ! Les lasers joueront le rôle des flammes, les canons à feuilles cracheront la lave du volcan. Alain a imaginé tout une scénographie autour de son char. « Pour la décoration, tout doit être en matière naturelle. Les feuilles rouges et orangées imiteront les flammes. Et surtout, on utilise du lichen pour économiser les jonquilles, car il faut les préserver. » Un cortège de diables et diablesse défileront à côté du char, accompagnés de musiques « qui font un peu peur » s’amuse Alain. Il promet une « surprise » pour la fin du défilé. Ça risque d’être explosif !
Grand famille de bénévoles
Et il y a les petits nouveaux. Théo Kuisin construit, avec l’un de ses amis, un dinosaure de plus de 6.50 mètres de haut ! En plus de 3 sujets fixes qui habilleront la ville de Gérardmer pour la fête. « Nos pères construisaient déjà des chars avant, donc c’était naturel que j’en fasse un cette année. » Tous sont des passionnés qui n’hésitent pas à passer tout leur temps libre sur leurs chars. « Dès qu’on a une minute devant nous, les soirs, les week-end, la nuit, on vient travailler » s’enthousiasment-ils, en cœur. Car la fête des Jonquilles, c’est avant tout une grande famille de bénévoles. « On construit ici, tous ensemble, dans une ambiance bon enfant et toujours dans un esprit d’entraide. Les jeunes peuvent apprendre des anciens et être conseillés. C’est vraiment sympa » ajoute Alex.
Les chars sont regroupés en catégories : petits, moyens, grands, très-grands. A l’issue de la fête, un palmarès est établi pour désigner les plus beaux, les plus réussis. Et cette année, même le public peut voter pour son « coup de cœur ». « On ne fait pas ça pour gagner », insiste Alain. « Moi je le fais pour mes petits-enfants surtout. L’un deux avait commencé un char en forme d’Harley Davidson. Malheureusement, il s’est cassé la main, alors je le finis ! Ca les rend heureux ! » D’ailleurs, tous ont déjà en tête leur idée de char pour la 49e édition, dans deux ans. En attendant, ce sont bel et bien les chars de cette année qu’il faut terminer. Avant de les couvrir de jonquilles, la veille du défilé. Rendez-vous donc le 9 avril, à 14h30 au cœur de la « Perle des Vosges », pour un spectacle féérique qui laissera des souvenirs teintés d’or.
Pour plus d’informations > societe-des-fetes-gerardmer.org • 03 29 63 12 89 • [email protected] • Tarifs : 14 €, gratuit -12 ans. Supplément à prévoir pour les places assises sous réserve des places disponibles.
La jonquille, un mystère vosgien
Pourquoi cette plante envahit les coteaux de Gérardmer ? Eléments de réponse avec Grégory Bonne, accompagnateur de haute montagne
« C’est vrai que la jonquille est hyper localisée à Gérardmer et il y en a beaucoup. Mais il n’y a pas vraiment d’explication, ça reste un peu un mystère. Sur d’autres endroits où il y a le même type de sol, c’est-à-dire un sol granitique, avec le même climat, il n’y en a pas. La jonquille est une plante vivace, c’est-à-dire qu’elle peut vivre plusieurs années. Elle aime l’humidité et la chaleur. Il suffit de 2 ou 3 jours de soleil pour la voir fleurir. C’est une plante qui fane assez vite mais que l’on peut retrouver sur les hautes Vosges à jusqu’au début de l’été.
Au départ, les agriculteurs enlevaient les jonquilles car ils pensaient qu’elles étaient toxiques pour les bêtes. Aujourd’hui, dans les prairies agricoles, les jonquilles ne servent à rien car les animaux ne les mangent pas, mais on n’a jamais vraiment démontré leur dangerosité. Mais les jonquilles repoussent vite, et en nombre !
Le réchauffement climatique n’est pas le vrai danger pour les jonquilles car c’est une plante qui est quand même résistante, qui a des ressources. Mais le problème, ce sont les constructions d’habitats privés dans les grandes prairies de jonquilles qui les font disparaître. Aussi, pour la préserver, Il faut pratiquer une cueillette responsable et raisonnable en veillant à ne pas arracher le bulbe de la plante pour qu’elle puise refleurir. Un petit bouquet de 4 ou 5 tiges de jonquilles est largement suffisant pour garder un souvenir des Vosges ! »
Photos © L.A.Photo Création, Jean-Philippe Delobelle / Biosphoto, DR