Nancy, c’est 242 hectares d’espaces verts et 30 350 arbres gérés par la Ville et la Métropole du Grand Nancy. Depuis 2000, les jardiniers n’utilisent plus aucun pesticide ni produit phyto-sanitaire. Explications avec Pierre Didierjean, directeur des parcs et jardins de la ville de Nancy.
La loi transition énergétique date de 2015 mais Nancy n’a pas attendu pour commencer à devenir plus verte…
L’idée a émergé dans les années 2000. Aux serres municipales, on a mis en place un projet de protection biologique intégrée (PBI). C’est-à-dire, plus de pesticides. Et ça a plein d’avantages : contrer leurs effets néfastes sur la santé et aussi protéger nos environnements.
Il fallait aussi se poser la question : quelles plantes sont sensibles ? Le croton, par exemple, développe des maladies et on le traitait sans arrêt. Mais ces traitements sont nocifs et on a décidé de les arrêter pour s’orienter vers le développement durable. Mais quelles sont les autres pistes ? On a fait appel à des laboratoires qui élèvent des larves de coccinelles, des petites abeilles… qui vont se nourrir d’autres insectes. C’est en reconstituant cette chaîne que l’on arrive à des résultats. Mais des fois, ces auxiliaires ne sont pas concluants. Donc on se remet en question : le croton est utile ? Qu’apporte-t-il ? Là, on décide de le supprimer. La philosophie, c’est le bien être des jardiniers, la protection de la planète, c’est le plus important pour nous.
Le changement a été facile ?
Non, mais il le fallait. Avant, dans une serre, avec des insectes ravageurs c’était facile : on traitait, on fermait la porte et on attendait. Mais quand on travaille avec des auxiliaires, c’est un travail de longue haleine. Les jardiniers ont dû se former. On a déjà essayé avec les plus réceptifs, ceux qui avaient envie de changement. Puis il y avait les plus réticents mais tout le monde commence à s’y mettre… Les formations ont porté leurs fruits. On a donc voulu étendre ce projet « zéro pesticide » à tous nos espaces de nature et on a commencé en se demandant : quelles sont les solutions alternatives qui s’offrent à nous ?
Justement, quelles solutions écologiques utilisez-vous ?
Un exemple très concret : au parc de la Pépinière, il a 21 hectares de nature. Avant, le jardinier mettait 62 heures pour appliquer un désherbant total et on était tranquille pour toute l’année. Mais là, on revient à la binette, à l’eau chaude, à la vapeur ou au gaz. En tout : 1470 heures de travail. Ca fait du changement.
Au-delà du fait de ne plus utiliser de pesticides, il a fallu repenser les espaces verts pour réorganiser notre temps de travail : quand les plantes sont trop malades, on essaie de les remplacer par d’autres. Ici, dans notre cour, on avait de grands cubes de haies très hauts qui nécessitaient 620 heures de travail. Il n’y avait pas d’utilité particulière, pas de patrimoine sur ces cubes… Donc on les a remplacés par des arbres. On a gagné 620 heures de main d’œuvre. Mais c’est une transformation qui s’est faite petit à petit, sur 5 ans.
Un projet comme celui-ci n’est pas réalisable seul…
Non ! Nous avons des partenariats avec la FREDON (Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles de Lorraine) pour la formation des jardiniers, avec l’Arexhor (Association Régionale d’Expérimentation Horticole) et l’ENSAIA (École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires) pour les études de terrain et des sols ainsi qu’avec Air Lorraine. Au parc Sainte-Marie, l’Université de Lorraine fait des relevés de la biodiversité pour nous dire quelles plantes réapparaissent. C’est un travail d’équipe, incontestablement.
Vous êtes également très attentif à la consommation d’eau.
Nous sommes les premiers en Lorraine à avoir une station météo. Chaque massif est piloté par informatique et en fonction des prévisions, on peut réduire la consommation d’eau de 10, 20% par exemple. En 1999, on a utilisé 85 000m3 d’eau sur une année. En 2016, 32 000m3. Le but, c’est d’apporter la bonne quantité d’eau au bon moment. L’arrosage automatique permet d’ailleurs de bien quantifier l’eau également. Aussi, on choisit les bonnes plantes qui sont moins gourmandes.
J’imagine que ce projet à un coût financier…
C’est difficile à quantifier. Avant il y avait l’achat des produits. Mais maintenant, il faut payer la main d’œuvre qui est plus importante. Mais il faut protéger la planète, l’eau, le sol, l’air. Donc c’est à nous de faire des efforts pour arriver à compenser. Pour les serres, il y a 3 000 à 4 000 euros d’achat d’auxiliaires par an. Pour le désherbage, c’est de la main d’œuvre. Et il y a aussi l’achat du gaz…
A Nancy, 8 jardins ont le label « éco-certifiés »… qu’ont-ils de plus que les autres ?
Vous savez, on aimerait que tous les parcs aient ce label ! Mais il y a 150 critères à remplir, respectueux de l’environnement. Pas d’arrosage de gazon, pas de terre nue, maîtriser l’apport en eau, l’éclairage avec des panneaux photovoltaïque, la taille des arbustes… Les bancs ont été lasurés c’est-à-dire qu’on les a rabotés et on a mis du bois brut. On privilégie une tonte à 4 centimètres pour le retour de la biodiversité. On laisse la nature reprendre ses droits et on recrée l’écosystème. L’objectif est de gérer de façon écologique nos espaces verts.
Vous sentez que la ville va mieux ?
Oui. Au parc Sainte-Marie par exemple, tout le monde est étonné. Les jardiniers voient des plantes qu’ils n’ont jamais vues. La nature reprend ses droits et c’est l’essentiel. On a même des ruches à Nancy, sur le toit de l’Opéra ou au Parc de la Cure d’air. C’est un signe d’une ville en bonne santé.
L’Interdiction des pesticides va s’élargir aux particuliers en 2019, vous pensez que les gens sont prêts ?
Dans le cadre de nos animations, « Pépinière en vert », « Nature en fête au parc Sainte-Marie », notre jardin éphémère Place Stanislas, les gens sont de plus en plus sensibilisés à la question de l’écologie. Ils ont envie de protéger la nature. Donc je pense qu’ils sont prêts à faire ce changement, oui.
Vous avez des projets pour l’avenir ?
Nous voulons continuer d’obtenir des labels éco-certifiés pour nos parcs et Nancy s’engage à être un « éco-quartier » au niveau national. Vous savez, les projets sont constants : il y a les jardins partagés qui se développent, le compostage partagé qui est géré par la Métropole du Grand Nancy. Si vous n’avez pas de jardin, vous pouvez mettre vos épluchures dans un « bio-seau » et le déposer au composteur le plus proche de chez vous. Après, vous pouvez l’utiliser ou le laisser au parc qui s’en sert. C’est aussi ce lien social dans ce projet « zéro pesticide » qui est intéressant.
Photos © Ville de Nancy, DR