Vilains, laids, dégoutants, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire certaines espèces considérées comme disgracieuses. Pourtant s’intéresser à l’apparence des animaux, c’est comprendre leurs spécificités et les rapports qu’ils entretiennent avec leur environnement. Dans la peau d’un explorateur, les jeunes visiteurs pourront manipuler et observer ces étranges animaux, décrypteur leurs secrets et s’interroger sur les notions de laideur et de beauté.
Dans sa bonté et tolérance bien connues, l’être humain a toujours tendance à coller des étiquettes à ses congénères et la première est toujours liée au physique : « Oh qu’il est moche celui-là ! T’as vu sa tronche ! » Facile. Et l’Homme ne s’arrête pas à son semblable, il pointe aussi du doigt ses voisins terrestres qui ne peuvent lui répondre, qu’ils soient compagnons à 4 pattes, singes, poissons et autres insectes ou mammifères.
Un délit de faciès et de formes très subjectif tantôt marrant ou effrayant à l’image de ce que peuvent être un podarge gris, un chlamydophore tronqué, un zokor ou un oryctérope. Tous ces noms ne vous disent peut-être rien mais à y regarder de plus près, vous pousseriez sans doute des cris d’effroi si vous vous trouviez nez à nez avec eux. Semblant sortis d’un film façon « Freaks », ils constituent une parade animalière si monstrueuse qu’on en oublierait de réfléchir au pourquoi du comment. Pourtant s’arrêter quelques instants sur la faune, zoomer sur des particularités et les comprendre, voici un beau défi !
C’est celui qu’engage pendant dix mois le Muséum Aquarium de Nancy grâce à sa nouvelle exposition temporaire : « Moches ! ».
En 2012, l’exposition « PARCE QUEUE » s’interrogeait sur l’intérêt de l’appendice postérieur des animaux. Comme en écho, « Moches ! » vient parler de laideur et de beauté et se veut cette fois accessible aux plus jeunes, de 6 à 10 ans. Elle sera cependant ouverte à tous du 15 novembre 2016 au 24 septembre 2017, soit 10 mois complets pour que les 90 000 visiteurs annuels du musée puissent assister à l’évènement.
Si l’accroche est simple pour ne pas dire vendeuse, elle est complétement assumée par l’équipe du muséum. Et dans une volonté de rester proche des sujets sociétaux, le MAN choisit cette fois de s’intéresser à un thème encore plus porteur tout en le basant sur des études zoologiques réalistes.
Un parcours à hauteur d’enfant
Créée de toutes pièces, « Moches ! » a nécessité huit mois de travail et une équipe de 10 personnes dont la moitié sont des illustrateurs. Parmi eux, la lorraine Maud Guely pour les décors, Marine Thizeau pour la réalisation des cartels d’informations, Mara-Flore Dubois chargée de la création des jeux informatiques et Philippe Tytgat pour les vidéos et la communication visuelle. En invité artistique, le peinte nancéien Stéphane Mourgues interviendra par la présentation de six toiles originales.
Le parti pris de l’expo est de rire en apprenant et son parcours offrira divers espaces tous conçus à hauteur d’enfants, de façon à ce que leurs yeux se posent très vite sur les animaux et sujets présentés. Des modules bas et des mini-vitrines seront installés pour fouiller et s’approcher de près de reproductions et modelages d’animaux. « Nous avons conçu cette exposition de façon à ce que la découverte soit totale, en passant par la vue, le toucher, le son, l’interactivité mais aussi l’amusement, le plaisir et l’apprentissage » explique Lucille Guitienne, directrice adjointe du MAN.
L’introduction de l’exposition sera étonnante : en effet, suite à la campagne « Donne ta peluche » menée par le musée dernièrement, près de 200 peluches ont été récupérées et ces jouets du quotidien seront mis en scène pour poser d’emblée la question : Qu’est ce qui est beau ou laid ?
Indiana Jones Junior
De manière générale, l’atmosphère de l’évènement sera très graphique et les décors seront manipulables comme ce premier rideau d’insectes grossis pour mieux voir leurs têtes bizarres. Ensuite, tel un petit Indiana Jones, chaque visiteur deviendra un explorateur et s’engouffrera dans une forêt tropicale aux insectes grouillant sous des feuilles, passera à travers des trappes pour découvrir des tiroirs disséminés dans les installations avant de pénétrer dans « La galerie des moches », l’espace Charognards ou celui des animaux des cavernes et des abysses profondes. Un module sur les « Bébés moches » ouvrira le débat sur les périodes de laideur aux différents stades de la vie, une manière originale de parler de l’évolution.
Toutes ces histoires d’animaux seront racontées par le biais de cartels simples, illustrés et colorés : un minimum de texte et un maximum d’images. Ainsi, sans l’intervention d’un adulte, les plus petits pourront comprendre le comportement des animaux présentés.
Il sera aussi possible de créer des animaux hydrides via un module informatique conçu spécifiquement et d’utiliser un cahier de coloriage réalisé par les dessinateurs nancéiens PEB et FOX reprenant des animaux du monde entier (vendu 3€ sur place). D’autres surprises vous attendent avant d’élire en bout de courses, l’animal le plus hideux.
Le choix des animaux
Pour préparer cette exposition, il a fallu choisir les animaux. Pour ce faire, les équipes du musée ont établi une première liste soumise à un groupe test de 20 enfants. « Nous leur avons demandé de définir ceux qui, pour eux, étaient moches ou non. Il faut bien avouer que certains critères reviennent : l’absence de poils, des corps mous ou flasques, des démarches étranges, l’hypertélie qui est un développement exagéré de certains organes rendant ceux-ci encombrants comme des nez ou des queues proéminents, des becs bossus… » explique Lucille Guitienne.
De façon pédagogique et humoristique, plusieurs types et tailles d’animaux sont présentés dans leur mocheté : de la fourmi des forêts tropicales à la hyène tachetée, des espèces mimétiques de leur environnement aux spécimens monstrueux mais attachants. Issus des collections du MAN, de modelages ou prêtés par les muséums de Strasbourg et de Lyon, les animaux deviennent des supports de nombreuses informations sur lesquelles les visiteurs pourront s’interroger. « Plus nous connaissons les animaux et comprenons leur mode de vie, plus leur laideur s’efface. Parler de zoologie, c’est l’occasion d’apprendre sur les écosystèmes dans lesquels vivent certains mammifères, c’est comprendre comment leurs particularités physiques peuvent les aider à se nourrir voire à se reproduire ».
Cette exposition, c’est aussi une réflexion sur la tolérance vis-à-vis de chacun : « De qui est-on le moche ? », une question qui se posera grâce à une ultime mise en scène face à des miroirs déformants, qui au-delà du rire, permettront, sans doute, d’ouvrir un joli débat. Et puis finalement, c’est bien la beauté intérieure qui compte, non ?
La galerie des affreux
Le Cyrano des singes, le maléfique Aye-Aye ou l’antilope Saïga : quels choix ferez-vous pour déterminer l’animal le plus moche ?
Parmi la cinquantaine de spécimens et animaux naturalisés exposés sur un plateau de 350 m² au premier étage du musée, le visiteur pourra voter pour son animal le plus moche en fin de parcours. Faisons connaissance en avant-première avec certains comme le nasique et son gros nez qui illustrent l’affiche de l’exposition. Pour manger, ce primate arboricole doit écarter son organe nasale, preuve que « ce pic, ce cap, que dis-je ce cap ? … cette péninsule » le gêne pour porter à sa bouche les aliments. Mais il a pourtant une utilité inattendue : ce nez énorme rougit lors des parades nuptiales et gonfle pour faire office de caisse de résonnance pour séduire les femelles. De ce fait, le nasique est surnommé le « Cyrano du monde simien ». Si le mâle possède un gros nez, la femelle, elle, en a un bien plus petit et gracieux ! Pourtant, il n’est point question qu’il ne se l’amputât !
Taupe à venin
Autre bestiole, l’ornithorynque : son nom est aussi complexe à écrire que son apparence est drôle. Son bec corné et plat en ferait un mix entre un canard et un castor à grosse queue tout droit sorti d’un dessin-animé. Qualifiée parfois de taupe aquatique, l’animal pond des œufs, nage à une vitesse incroyable et dispose d’un venin ressemblant à celui d’un serpent ou d’une araignée : gare à qui se moque de lui !
Parmi les espèces rares, voici le Aye Aye : autant dire que celui-ci, vous ne souhaiteriez pas le croiser dans le noir au cœur de la forêt de Madagascar où il vit. Lémurien à la pilosité réduite, il effraie par ses yeux énormes, ses oreilles de chauve-souris et son troisième doigt de la main très allongé. Considéré comme animal maléfique, il fut longtemps chassé pour cette raison au point d’être aujourd’hui en voie de disparition. Loin des superstitions l’accompagnant, des études ont permis de comprendre que ses yeux exorbités sont liés à sa vision nocturne et que ce long doigt lui sert à détecter les larves d’insectes dans les arbres pour se nourrir.
Elle digère les os
Pour ceux qui seraient fascinés par le vautour, il fait partie de ces animaux charognards à mauvaise réputation. Pourtant, s’il dispose d’un long cou dépourvu de poils, c’est pour lui permettre de glisser sa tête plus profondément dans les cadavres d’animaux et d’éviter de se coller du sang vecteur de problèmes sanitaires. La nature pense à tout !
Plus connue, la hyène rayée et son rire menaçant sera présente. Charpenté, l’animal fait peur mais il peut courir jusqu’à 50km par nuit, elle chasse au même titre que le lion à cette différence près que la hyène a la capacité de digérer les os de l’animal qu’elle dévore.
De manière non exhaustive, les enfants croiseront le condor, le dindon ou encore l’antilope saïga.
« Moches ! » : Exposition surtout pour les 6/10 ans, du mardi au dimanche de 9/12h et 14/18h, fermés les lundis. Muséum Aquarium de Nancy, 34 rue Sainte Catherine à Nancy. En partenariat avec le Crédit Mutuel. Infos : 03 83 32 99 97
« Mieux connaître la biodiversité »
Maître de conférences à l’Université de Lorraine, spécialiste de la biologie animale et directeur scientifique du MAN, Dominique Chardard est une caution scientifique pour les activités menées au sein du muséum. Après avoir effectué une série de travaux sur le changement de sexe des salamandres, il étudie maintenant la diversification des espèces en aquaculture (perches, sandres) à l’heure où les stocks de pêche diminuent. Confronté aussi à des animaux hideux, il confirme cependant qu’« aucun animal n’est trop moche pour intéresser la science. Cela reste des critères subjectifs. Si nous travaillons sur une espèce, ce sont ces caractéristiques qui nous intéressent. Si certains mammifères ont mauvaise réputation et sont peu étudiés comme la chauve-souris alors qu’elle est le 2e groupe de cette classe à présenter le plus d’espèces, c’est peut-être en raison d’un manque d’applications vis-à-vis de l’homme en terme de santé ou d’intérêts macroéconomiques ». Le manque de financements pour certaines études est aussi une réalité.
Ce qui est certain pour Dominique Chardard, c’est que « le plus complexe, c’est de faire accepter l’aspect extérieur d’un animal au grand public. Prenons l’exemple de la lotte : ce poisson n’est présenté sur les étals que sous la forme de queue ou filet, car entier il est assez moche.Les jugements sont portés sur des caractères, des attributs, des ornements, rendant certains animaux curieux, effrayants ou inhabituels. C’est sur ce constat de départ que l’exposition s’appuie pour amener les enfants à réfléchir en quoi ces particularités physiques servent aux animaux à s’adapter à leur environnement. D’un concept simple sur la laideur, l’idée est de parler de zoologie, de biodiversité, c’est là le cœur de métier du muséum qui par cette action peut diffuser la culture scientifique ».