Après le départ de Tito Muñoz en 2013, l’Opéra de Nancy s’est lancé dans une sacrée quête : celle de son futur directeur musical. Depuis quelques mois, l’avenir n’est plus incertain et les rêves de la maison se sont matérialisés sous les traits du chef d’orchestre israélien Rani Calderon. Ancien chef principal au Théâtre municipal de Santiago du Chili, il amène avec lui un goût pour l’éclectisme et sa vision particulière de l’orchestre.
Les premiers concerts symphoniques de la saison viennent d’avoir lieu, les 15 et 16 octobre derniers. Ce n’est pas la première fois que vous venez diriger l’orchestre symphonique de l’Opéra de Nancy puisque vous étiez chef d’orchestre invité sur « Turandot », en octobre 2013. Quel sens avait donc ces premières représentations pour vous ?
En effet, elles avaient une signification toute particulière pour moi. Elles sont le fruit d’une idée que j’avais depuis très longtemps, que j’ai proposée à l’équipe de l’Opéra au moment de la présentation de mon projet artistique. Je voulais que l’orchestre puisse se produire au moins une fois par an sur le plateau de l’opéra et, si possible, lors de l’inauguration de la saison symphonique. C’est ce que nous avons réussi à réaliser avec ces concerts. Mais pour les prochaines années, j’aimerai aussi que le chœur se joigne à nous.
Pourquoi cette représentation de l’orchestre symphonique sur la scène de l’Opéra, et non pas sur celle de la salle Poirel, vous tient tant à cœur ?
Je suis un grand fan de la Grèce antique, dans laquelle le théâtre est né. À cette époque, cette discipline faisait vraiment partie intégrante de la vie de la ville. J’ai pour vœu que l’Opéra et l’orchestre symphonique trouvent aussi leur place au centre de celle de Nancy. En cela, le directeur musical a un rôle de médiateur à jouer, en donnant une identité à la formation qu’il dirige. En plus, entre l’orchestre, le chœur et l’équipe technique, nous sommes plus de cent. Il est essentiel de réunir tout le monde au minimum une fois l’année. C’est une autre sensation de jouer ainsi tous ensemble sur le plateau de l’opéra. Les musiciens ont bien sûr leurs habitudes à la salle Poirel. Pourtant, ils l’avouent eux-même, ouvrir la saison dans leur propre maison provoque de belles émotions.
Quelles directions avez-vous envie de prendre avec l’orchestre symphonique et l’Opéra en général ?
Une fois nommé, je me suis penché sérieusement sur le répertoire joué par les musiciens par le passé. J’ai remarqué que l’activité symphonique était moins représentée quantitativement ces derniers temps. Or jouer de la musique symphonique permet de maintenir l’orchestre à un certain niveau, de conserver une sorte d’hygiène musicale aussi. Et puis, deux types de répertoire n’étaient pas assez présents au cours des dix dernières années. D’abord, l’orchestre a peu interprété de classiques et le répertoire français était clairement sous-représenté. Je m’étais dit « ils ont probablement tout abordé ». J’étais donc étonné et en même temps très content de découvrir que non. Nous avons ainsi choisis, avec l’équipe de l’Opéra, d’ouvrir la saison symphonique avec deux chefs d’œuvre classiques : la 5e de Beethoven et la 40e de Mozart. En novembre, nous enchaînons avec du Haydn pour achever la saison avec Debussy, Ravel et le 5e concerto de Saint-Saëns pour piano, qui est un chef d’œuvre absolu, encore jamais joué ici.
Vous-même vous êtes à la fois chef d’orchestre, pianiste et aussi compositeur. Qu’est-ce que cette triple casquette apporte à votre rôle de directeur musical ?
Pour le moment la carrière que je mène est celle de chef d’orchestre. Mais avoir ces trois activités donne une perspective musicale assez vaste. Quand vous étudiez une partition et que vous avez l’expérience d’écrire la musique, vous avez une autre façon de la regarder. Vous vous mettez dans la peau du compositeur et vous pouvez parfois vous dire : « là il aurait peut-être voulu faire autre chose mais il n’avait pas l’instrument ou les moyens ». Par exemple, dans la 5e de Beethoven, un thème joué par des cors l’est ensuite par des bassons dans la réexposition. La raison est simple : dans la réexposition, le thème s’interprète en ut majeur et à l’époque de la composition, les cors n’avaient pas l’ampleur de note suffisante. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et les bassons produisant un effet comique, j’ai remis les cors. En l’écoutant, j’étais convaincu et j’ai l’impression d’avoir mieux servi cette symphonie. • Propos recueillis par Pauline Creusat