Jusqu’au 18 décembre, le Goethe Institut à Nancy s’empare d’une partie de l’histoire du quartier Berlin-Mitte à travers l’exposition « Berlin Wonderland ». De 1990 à 1996, le lieu, ancien no man’s land, devient un laboratoire artistique en même temps qu’un espace de liberté incroyable. Certains photographes, comme Ben de Biel, ont figé cet époque sur leur pellicule.
Sur cette photo en noir et blanc, le regard s’arrête puis se perd. L’espace d’un instant, il n’est nul part et partout en même temps. Les deux hommes en jilbab et fez sur la tête1, les enfants jouant dans la rue, les décombres dignes d’un quartier ravagé par la guerre et l’ambiance presque estivale, tous les éléments de l’image concourent à troubler celui qui la scrute. Le lieu, c’est Mitte, un quartier symbolique de la capitale allemande passé du no man’s land, pendant les années de division, au lieu de créativité explosive, au début des années 1990. Prise par le photographe allemand Ben de Biel, cette dernière condense sur quelques centimètres carrés l’esprit de cette zone, qui va attirer à elle de nombreux artistes.
Diagonale du vide
D’autres reporters vont capter son bouillonnement comme Hendrik Rauch, Philipp von Recklinghausen, Stefan Schilling, Hilmar Schmundt, Andreas Trogisch ou Rolf Zöllner. L’exposition du Goethe Institut retrace à travers leurs clichés cette époque pleine de possibilités et d’effervescence, dans le sillage de la chute du mur en 1989. Berlin-Mitte aurait pu devenir un fantôme avec ses immeubles vides, à moitié écroulés ou simplement à l’abandon, sans propriétaire défini. Il n’en a rien été : le quartier est vite devenu le fer de lance de la nouvelle Allemagne réunifiée. Tout était à refaire donc tout était possible. « C’était une faille temporelle comme on en trouve rarement. Tous ceux qui étaient dedans en ont profité, et ceux qui étaient à l’extérieur y jetaient un œil étonné », évoque Peter Zach, auteur et réalisateur autrichien.
Berlin-Mitte, centre du monde
De nombreuses personnalités viennent du monde entier pour participer au développement de cette « zone temporelle autonome », à l’image de Brad Hwang, sculpteur américain d’origine coréenne : « J’étais chez mes parents en Corée et j’ai vu la Chute du Mur à la télévision. J’ai tout de suite pensé que je devais me rendre là-bas. Je suis retourné à New-York, j’ai vendu ou donné toutes mes affaires et j’ai pris un aller simple pour l’Europe — sans argent, sans langue, sans relations. Mais avec un saxophone, deux mains volontaires et une soif de plus de vie, plus de questions, plus de possibilités ». De ce long printemps berlinois (1990-1996) ont émergé de nouvelles perspectives en art. Sur les gravats du mur, des galeries, des lieux alternatifs d’expression ou des clubs ont pris racine. Ainsi, Berlin est devenu le terrain de jeu de la scène techno émergente. En témoignent les photographies de Ben de Biel qui, photographe et patron de club, a pu capter ce milieu de façon plus intime. Mais l’âge d’or du quartier Mitte n’est plus et aujourd’hui une autre effervescence, touristique celle-ci, a remplacé celle des premières heures. Avec un brin de nostalgie, « Berlin Wonderland » fait un retour aux sources, juste avant le 26e anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 2015.
1 Longue tunique blanche et chapeau masculin, souvent en feutre rouge.