« Ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». En exergue de la nouvelle exposition du Musée de Beaux-Arts de Nancy, les mots de Victor Hugo viennent rappeler que derrière le mouvement artistique qui a vu éclore à la croisée des XIXe et XXe siècles l’Ecole de Nancy, se cache en réalité un engagement politique et social sans précédent. En dévoilant une prestigieuse collection d’objets signés entre autres Prouvé ou Gallé, l’exposition démontre que les figures artistiques de l’époque était des Républicains convaincus et investis dans le champ social et politique, ayant fait de leur recherche d’une nouvelle esthétique l’expression de leur quête d’une société plus juste, plus humaine, plus belle…
Elle fait la fierté de la ville, elle comble les amateurs d’art. Quel plus bel ancrage dans l’histoire que celui de pouvoir associer le nom d’une ville à celui d’une école : l’Ecole de Nancy. Un mouvement artistique unique, mondialement connu et qui incarne une des plus formidables transitions des deux derniers siècles. Directement, les images sont là et les grands noms fusent : un vase Gallé, un tableau de Prouvé. Parallèlement, les cours d’histoire s’estompent. Affaire Dreyfus, Boulangisme, Jaurès : la musique est là, mais les paroles sont floues. Au tournant des XIXe et XXe siècle, dans cette III ème république si compliquée, il est souvent difficile de décoder les questions politiques et sociales. La nouvelle exposition du Musée des Beaux-Arts de Nancy est ambitieuse : relier le foisonnement artistique et ce contexte politique et social de l’époque. Montrer en quoi l’Ecole de Nancy, plus qu’une école de savoir-faire, de création et d’innovation, était avant tout un témoin de son temps.
Fausse « Belle Epoque »
Nancy occupe définitivement une place à part dans l’avènement de l’Art nouveau. Ce mouvement, porteur d’un projet de société revendiquant le passage à un art total et social, est avant-tout engagé. Il s’épanouit dans un contexte plus troublé que la légende de la « Belle Epoque» ne le laisse supposer. A Nancy, cette propension à s’intéresser aux enjeux de société et aux questions politiques est accentuée par un contexte particulier et prégnant, hanté par la menace allemande.
Deux figures tutélaires de l’Ecole de Nancy incarneront bien cette implication dans les questions politiques et sociale de leur époque. Ce sont les deux présidents successifs de l’association Ecole de Nancy, fondée en 1901 : Emile Gallé et Victor Prouvé. Dans le cas du premier, l’engagement esthétique est indissociable de l’engagement humaniste, et son art sert les causes qu’il défend. Pour le second, l’indignation de la jeunesse est peu à peu remplacée par les espoirs placés en une république idéalisée. Tous deux ont largement contribué à faire de l’Ecole de Nancy un mouvement unique, sortant du seul cadre des arts décoratifs. « Pour certains, l’Art nouveau se résume aux meubles de grand-mère, explique François Parmentier, commissaire de l’exposition, c’est oublier à quel point à l’époque ce style était révolutionnaire et très moderne. Et cette modernité dans la forme l’était tout autant dans le positionnement intellectuel et social des artistes. Pour des raisons politiques, et pour préserver sa mémoire, on a voulu ne retenir d’Emile Gallé que l’artiste en gommant délibérément l’homme engagé qu’il a été tout au long de sa vie. Pour la première fois, une exposition souligne cette facette de Gallé et celle des autres artistes de l’Ecole de Nancy. »
Une exposition reconnue d’intérêt national
En faisant disparaitre la frontière entre l’Art et l’artisanat, entre art majeur et mineur, l’école de Nancy et son inspiration naturaliste bouscule et renouvelle les codes esthétiques. Les objets fabriqués en série et à prix modérés permettent une diffusion plus large. La nouvelle exposition rassemble près de 200 œuvres dont certaines pièces présentées pour la première fois à Nancy depuis la création comme le vase Pélican – offert par Gallé en décembre 1890 à l’homme politique et journaliste irlandais William O’Brien, défenseur des Républicains Irlandais – ou la fiole à encre la Calomnie, prêtée par un musée japonais. Ces œuvres moins connues révèlent une palette subtile et plus sombre de l’artiste verrier « après l’affaire Dreyfus, Gallé utilise le matériau à contre-emploi, il en supprime la lumière et utilise le noir. L’ensemble des verreries exposées par Gallé sur le four verrier font référence à l’affaire Dreyfus : Les Hommes noirs, conçu en collaboration avec Victor Prouvé, le calice Le Figuier, l’Amphore du roi Salomon, la fiole à encre La Calomnie… Les tables Sagittaire et Sicut Hortus s’ajoutent à la liste des œuvres dreyfusardes de l’exposition », poursuit François Parmentier. Au delà des œuvres présentées, le commissaire de l’exposition a souhaité faire découvrir aux visiteurs l’ambiance de l’époque en proposant un regard sur l’histoire et les journaux d’époque mais aussi à travers la musique, et notamment les chants patriotiques et l’Hymne à la justice composé par Albéric Magnard et dédié à Emile Gallé. Plusieurs postes d’écoute rythment la visite et l’œubvre sera même jouée en novembre, au musée, par les élèves du Conservatoire. « Cette période est tellement foisonnante que les salles du musée des Beaux-arts ne peuvent tout révéler, sourit François Parmentier. Pour aller plus loin, les visiteurs pourront se connecter grâce à un QR code à un site très riche en ressources documentaires et compléter la visite au Musée de l’Ecole de Nancy, où un grand nombre de pièces des collections permanentes témoignent de l’engagement politique et social de l’Ecole de Nancy. De nombreuses visites thématiques – avec des historiens, des musiciens, des membres de la LICRA – et des conférences seront organisées pendant toute la durée de l’exposition. A souligner également, la possibilité quasi-inédite de visiter la Maison des syndicats. L’Université Populaire s’installe dans les locaux construits en 1901-1902 par Charles Keller, rue Drouin, et baptisée « Maison du Peuple ». Le bâtiment est conçu par l’architecte Paul Charbonnier, avec des décors d’Eugène Vallin et Victor Prouvé.
C’est parce qu’elle présente un discours innovant et une thématique inédite, que cette exposition a reçu le label « Exposition d’intérêt national » en 2015, récemment créé par le ministère de la culture. Seules 19 expositions en France ont reçu ce label, qui permet, outre une mise en lumière exceptionnelle de recevoir des subventions spéciales.
L’École de Nancy face aux questions politiques et sociales de son temps, 9 oct. 2015 – 25 janv. 2016. Plus d’infos et programme complet des visites et conférences sur mban.nancy.fr et sur ecole-de-nancy.com