Jusqu’au 29 mars, le Centre de la Paix de Verdun retrace au crayon les contours de la liberté d’expression avec l’exposition « Nous sommes tous Charlie ».
Liberté. Depuis le 7 janvier, le mot glisse sur toutes les langues, s’insinue dans toutes les oreilles. Cabu, Charb, Honoré, Tignous et Wolinski ne faisaient pas qu’en parler. Ils en usaient. Dans des pays où la démocratie n’est pas de mise, d’autres dessinateurs luttent pour s’exprimer aussi librement, tous les jours le crayon à la main. « En tant que Centre de la Paix, des Libertés et des Droits de l’Homme, nous ne pouvions pas rester sans réagir après le 7 janvier. Depuis plusieurs années, nous réalisons régulièrement des manifestations autour des dessins de presse et nous avions dans nos archives le matériel pour monter une exposition sur la liberté de la presse en France et dans le monde », explique Philippe Langlois, responsable du service pédagogique du Centre de la Paix à Verdun.
Dessins de paix
« Nous sommes tous Charlie » s’articule en trois parties. La première met en avant le travail de l’association Cartooning For Peace, créée en 2006 par l’ancien secrétaire des Nations Unies Kofi Annan et le dessinateur Plantu. Dans celle-ci, trente-cinq dessins réalisés entre 2007 et 2011, et provenant des quatre coins de la planète, sont présentés. Dans la deuxième, l’esprit « Charlie Hebdo » se matérialise à travers une vingtaine de Unes emblématiques. Puis, dans la dernière partie, le Centre de la Paix a réuni des dessins effectués dans les heures qui ont suivi l’attaque du journal. « On a voulu varier les images pour ne pas réduire les dessins de presse à ceux de « Charlie Hebdo » ou aux caricatures de l’Islam. Même dans la partie dédiée au journal satirique, on ne s’est pas focalisé sur ces dernières. Toutes les religions étaient visées », note Philippe Langlois.
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L’exposition sert aussi de support pédagogique et en cela, répond à une demande croissante des enseignants. Depuis le 12 janvier, le Centre de la Paix a reçu une dizaine de visites scolaires. Des enfants et jeunes adultes de neuf à vingt-cinq ans viennent voir la liberté d’expression prendre toute sa force sur le papier, en quelque coups de crayon. « Je choisis une caricature symbolique et montre comment l’analyser en prenant en compte à la fois l’image et le texte mais surtout le contexte, l’actualité qu’elle traite. Ensuite les élèves peuvent en choisir une parmi celles de l’exposition et la commenter à leur tour. L’image est polysémique et nous renvoie chacun à notre vécu. J’essaie de rappeler aux visiteurs que chaque analyse est personnelle », raconte Philippe Langlois. Sur les murs de l’exposition, le nom de la liberté n’est pas écrit mais des dessinateurs ont tracé son visage plusieurs fois. Elle ne s’en offusquera pas.
L’exposition « Nous sommes tous Charlie » a lieu au Centre de la Paix de Verdun jusqu’au 29 mars. Renseignements sur le site http://cmpaix.eu/fr
Le b.a.-ba de l’humour en dessins
Le 7 janvier, tous les regards se sont brusquement tournés vers eux : les dessinateurs de presse. Journalistes ou artistes, chacun cultive une vision personnelle de son métier. Mais tous le pratiquent avec conviction et passion. Parmi eux, deux dessinateurs lorrains, Rémi Malingrey et Yan Lindingre.
Yan Lindingre : « Nous faisons un métier de moine copiste »
Rédacteur en chef de « Fluide Glacial », Yan Lindingre manie l’humour avec un grand U, décapant à souhait, et s’adonne toujours en parallèle à l’art de la « bandessinée ». Dessinateur, scénariste, il multiplie les casquettes et les collaborations avec des amis de plume et de crayon comme Lefred Thouron et Larcenet.
Depuis les assassinats de Charb, Wolinski, Honoré, Tignous et Cabu, le regard porté sur les dessinateurs de presse s’est soudainement métamorphosé. Que pensez-vous de ce changement ?
J’ai toujours trouvé injuste le regard porté sur notre travail. Nous faisons un métier de moine copiste. Pour être dessinateur de presse, il faut être au fait de l’actualité, lire énormément. J’ai l’impression de naviguer entre deux eaux. Avant, on nous regardait comme des gribouilleurs. Aujourd’hui on nous prête des pouvoirs politiques, économiques qu’on ne possède pas. C’est délirant. Chez « Fluide Glacial », la dernière Une sur le « Péril jaune » a suscité la polémique alors que ce n’est que de l’humour. Déjà dans la presse, des journalistes nous demandent si c’est du premier ou second degré. À part ça, on se targue d’avoir ici en France une culture de la caricature… Qu’importe, on reste nous-même, « Fluide Glacial ». On est aussi des journalistes et notre rôle consiste à rester debout, continuer ce que l’on fait à notre façon.
Et l’humour, peut-il s’apprendre ?
En venir à enseigner l’humour… je trouve ça dramatique. Dans les années 1970, l’humour se trouvait dans les journaux. Les jeunes connaissaient les dessinateurs satiriques comme Gotlib, Reiser ou Wolinski. Aujourd’hui, c’est différent. Avec internet, les jeunes sont très affûtés sur l’humour en vidéo et ne rentrent plus dans les kiosques. La place des dessins dans la presse a aussi énormément diminué. Maintenant en trouver un seul dans un magazine est déjà exceptionnel. Des publications comme « Charlie Hebdo », « Fluide Glacial » ou « Siné Mensuel » sont rares. Pour certains, notre travail est un art mineur. Cependant il ne faut pas tomber dans le jugement à l’emporte-pièce. Il faut nous lire avant. Vos opinions vous appartiennent, exprimez-les mais ne suivez pas les mouvements de foule. Faites-vous votre propre avis et si un journal ne vous plaît pas, c’est simple : vous pouvez le refermer.
Rémi Malingrey : « Nous ne sommes pas les seuls porteurs de la liberté d’expression »
« Libération », « l’Écho des Savanes », « Siné Mensuel » ou « Science et Vie Jr », quel que soit votre canard, vous risquez fort d’y rencontrer un dessin de Rémi Malingrey. Mais le dessinateur explore d’autres possibles, d’expositions en livres, de dessins d’humour en dessins de presse.
Que pensez-vous du changement dans le regard porté sur votre métier ?
C’est vrai qu’il y a eu un coup de projecteur sur le dessin de presse, et sur l’humour en général, à cause de l’actualité. En vérité, l’humour est un long apprentissage. Il nécessite une connivence et celle-ci ne s’acquiert pas uniquement en en parlant. Dans les manifestations de soutien pour « Charlie Hebdo », certains étaient là pour la liberté d’expression. Ils ne lisaient pas forcément ce journal ou ne se sentaient pas d’atomes crochus avec son humour. Mais la liberté d’expression est dans les gênes des citoyens français et pour cela, les gens ont réagi, sont allés dans les rues. Par ailleurs aujourd’hui on se méfie de l’image. Un dessin est plus fort qu’un discours. Il parle tout de suite et à tout le monde. En même temps il faut pouvoir s’en imprégner et prendre le temps de le lire. Il faudrait qu’il y ait une éducation pour cela. La façon de cadrer, ce qui est montré dans un dessin, c’est un vrai travail.
Le documentaire de Stéphanie Valloatto dépeint les caricaturistes comme des « Fantassins de la démocratie ». Le terme vous convient-il ?
Les dessinateurs de presse ne sont pas les seuls porteurs de la liberté d’expression. Le journaliste peut l’être aussi selon l’angle, le titre ou les mots choisis. En outre, il y a différentes manières d’être dessinateurs de presse. Certains exécutent du travail sur commande. D’autres sont plus engagés politiquement. Il y aussi ceux qui sont dans l’humour pur, traitent de sujets légers. Cette différence d’appréciation est due à la nature de chacun. Pour ma part, j’ai plus une sensibilité d’artiste. D’ailleurs, je n’ai pas de carte de presse. Je travaille aussi beaucoup sur des faits de société et moins sur des actualités politiques. De la même façon, il n’y a pas qu’un seul type d’humour. Le coup de projecteur peut, peut-être, aider à sensibiliser sur ces différences et sur notre métier.
Propos recueillis par Pauline Creusat