C’est une saga qui court sur deux siècles et dont la toile de fond s’est souvent posée sur un chevalet, en pleine nature pour saisir une impression. C’est aussi l’histoire d’une dynastie artistique un peu méconnue, celle des Rouart. Le grand-père, le père, le fils, tous les trois peintres, collectionneurs et mécènes. Le musée des Beaux-Arts de Nancy leur consacre une exposition exceptionnelle de 130 tableaux : leurs œuvres et celle de leurs prestigieuses connaissances nommées Degas, Monet ou Morisot.
Certains critiques les ont comparés aux Médicis. En réalité, les Rouart ont peut-être dépassé les mécènes florentins. Car dans la famille Rouart, on est artiste à part entière. Et même s’il est plus facile de prendre le pinceau à la fin du XIXe siècle qu’à la Renaissance, il est rare de voir trois générations à ce point impliquées dans l’histoire de la peinture.
Pour s’y retrouver, ces quelques dates, que l’exposition de Nancy reprend dans la chronologie de sa présentation : Henri Rouart (1833–1912), son fils Ernest Rouart (1874–1942) et son petit-fils
Augustin Rouart (1907–1997).
Des signatures qui ne comptent pas parmi les plus connues des peintres impressionnistes ou de leurs successeurs. Mais des œuvres qui ont fini par convaincre.
Au début, il y a Henri. Il aime les paysages, les peint. Il côtoie Degas et expose avec lui. Cet ingénieur attendra la cinquantaine pour se consacrer exclusivement à son art. Une quarantaine de ses œuvres ouvre l’exposition par le commencement, l’impressionnisme le plus pur, d’où le nom de l’expo : « Les Rouart : de l’impressionnisme au réalisme magique ». Si, comme ses congénères impressionnistes, il excelle dans la représentation des arbres et des ambiances paysagères, il s’est notamment essayé avec succès au portrait. Mais c’est par sa collection personnelle acquise tout au long de sa vie qu’il sort du lot dès la fin du XIXe siècle. Comme le rappelle la plaquette de l’exposition, le peintre pointilliste Paul Signac notera dans son journal le 16 février 1898 : « C’est affolant : du haut en bas la maison est pleine de tableaux qui, dans toutes les pièces, dans les antichambres, dans les escaliers, garnissent les murs du plancher au plafond. Il n’y a plus une place vide. C’est une profusion de merveilles : Corot, Delacroix, Millet, Jongkind, Courbet, Daumier, Degas. J’en ai vu tant que je sors ahuri… »
A une époque qui ne mettait pas en valeur autant qu’aujourd’hui les joyaux de l’impressionnisme, le fils d’Henri, Ernest Rouart jouera aussi un grand rôle pour l’éclosion au grand jour du courant, organisant des expositions majeures et s’intéressant notamment au travail d’Édouard Manet, d’Edgar Degas et bien sûr de Berthe Morisot. Coïncidence heureuse : l’un de ses fils, Denis Rouart, a été conservateur du Musée des Beaux-Arts de Nancy de 1946 à 1969.
Pour évoquer le dernier triptyque de la dynastie Rouart, Augustin, laissons la parole à son fils, peut-être le plus connu des Rouart d’aujourd’hui, l’académicien Jean-Marie Rouart : «On pourrait à son propos, parler de réalisme magique. Des tableaux comme Lagrimas y penas, Le Petit Pêcheur, Le Nageur, illustrent sa tentation du merveilleux. Si j’ai parlé chez lui de la passion de la lumière, il n’était pas moins obsédé par la vérité – vérité de l’art s’entend – dont la nature donne l’exemple. Loin d’être réaliste, il cherchait à transmettre cette poésie du réel qui enchante notre vision devant un paysage, ceux du Béarn ou de Noirmoutier en l’occurrence, ou devant des fleurs. »
L’exposition phare de l’hiver au Musée des Beaux-Arts dont les œuvres exposées proviennent de collections publiques du musée d’Orsay, du Musée Marmottant-Monet, du Musée des années 30 et de nombreuses collections particulières, met ainsi en valeur un cheminement artistique qui a conduit trois hommes à partager une même passion à travers deux siècles.
Musée des Beaux-Arts de Nancy, visites guidées de l’exposition tous les dimanches à 15h. Plus d’infos sur : http://mban.nancy.fr