Marie-Madeleine, Cascadeur, le Chapelier Fou, la scène musicale lorraine fait parler d’elle au-delà des frontières du Grand Est. Dans leur sillage, nombre de groupes tentent leur chance sur un chemin pavé de notes mais aussi d’embûches.
Crise du disque, baisse des subventions, précarité des intermittents, ces mots ont de quoi refroidir les ardeurs artistiques de bien des musiciens. Pourtant de nombreux groupes s’y essayent. « C’est super dur de toucher des producteurs. Le plus souvent, ils veulent ce qui marche déjà et ne prennent pas de risques. Il faut se battre mais ça forge le caractère », tempère Tiphaine Wary. Cette jeune chanteuse pétulante et pétillante vient de sortir un EP de cinq chansons, « la Chouchoute », et commence à tourner dans la région avec un groupe de musiciens fraîchement assemblé. Rangée dans cette grande boîte floue de la chanson française, Tiphaine pourrait sembler un peu esseulée face à des groupes comme Marie-Madeleine, aux sons électro fruit d’une union improbable entre Bauhaus et Madonna, ou comme Grand Blanc, un rock électro hanté par le fantôme de Bashung. « Ils ont un style bien particulier et ne sont pas forcément représentatifs de la scène musicale lorraine. En réalité, il y a une grande diversité de styles : rock, punk, métal, chanson française… », affirment Anne-Laure et Floriane Gavoille, présidente et vice-présidente de l’association La Masse Hystérique. D’ailleurs la Lorraine bénéficie d’un perpétuel Printemps musical. Les groupes se forment, se déforment, se refondent… comme le groupe rock nancéien The Dead Stereo Boots. Le quintet original s’est éparpillé et a laissé la place en 2011 au duo Rodger et Daron.
Des coups et des bosses
L’industrie musicale ne tourne plus rond. Les musiciens, eux, trouvent d’autres biais pour exercer leur art. YouTube, Myspace, Soundcloud, ces plateformes de distribution audio ou vidéo en ligne voient aussi naître une profusion d’offres de la part d’artistes ou de groupes. Internet n’est pour autant pas devenu un Eldorado pour ces musiciens 2.0. Mais pour se faire connaître, l’épreuve maîtresse reste celle de la scène. Là encore, d’autres chausse-trapes apparaissent sur le chemin du succès. « Il y a peu de scènes sur lesquelles jouer et les engagements sont souvent mal ou pas payés. Pour des salles de concerts comme l’Autre Canal, il y a aussi de moins en moins de subventions pour soutenir les petites formations locales », note Delphine Colnot, chargée d’accompagnement à l’Autre Canal. Y a-t-il donc une stratégie pour percer ? « Ça dépend ce qu’on entend par là », lance Rodger, chanteur et guitariste des Dead Stereo Boots.. « C’est comme de la drague ; chacun a son mode de séduction », poursuit-il. En la matière, la technique du duo The Dead Stereo Boots s’apparente plutôt à une sorte de « glissé chaloupé ». De petites scènes en tremplins locaux, ils balancent un rock épuré, un son lourd et chaud comme les pantalons cuir d’Elvis. Et ce travail de longue haleine a récemment payé. Plusieurs gros festivals régionaux leur ont ouvert les bras : les Nancy Jazz Pulsations, le Jardin du Michel et Zikametz. La prochaine étape pour le duo est de sortir de Lorraine et conquérir d’autres publics. Pour sa part, Tiphaine Wary se lance en musique avec une dose d’instinct et de bonne humeur : « je prends ce qui vient au fur et à mesure. Je n’ai pas de plan de carrière. J’ai simplement besoin d’avoir de bon rapport avec les gens pour que ça colle musicalement ».
Le petit coup de pouce
À force de témérité et de persévérance, certains artistes se font parfois remarquer par une des multiples structures d’accompagnement de la région. « Ces derniers temps, beaucoup d’équipements sont sortis de terre et le soutien aux musiciens s’est popularisé », explique Delphine Colnot. Une véritable toile d’araignée territoriale s’est constituée en Lorraine avec, dans chaque département, un lieu relai pour les groupes locaux : l’Autre Canal à Nancy, les Trinitaires-BAM à Metz, le Gueulard + à Nivelange, la MCL de Gérardmer, la Souris Verte à Épinal, la MJC du Verdunois à Belleville-sur-Meuse et la Halle Verrière de Meisenthal. Ensemble ils forment le réseau Musiques Actuelles En Lorraine (MAEL). À l’Autre Canal, Delphine Colnot reçoit environ cent demandes d’aide par an. « Mais tous les groupes ne peuvent pas en bénéficier. Avant de mettre en place un dispositif d’accompagnement, je les rencontre et prend connaissance de leur projet. J’ai un rôle de conseil. Si leur démarche n’est pas assez construite, ça peut leur porter préjudice », avertie la chargée d’accompagnement. Regroupant les trois sites de l’Arsenal, des Trinitaires et de la BAM, la structure Metz en Scène soutient de façon régulière et suivie une vingtaine de groupes dans l’année. « On donne quelques outils. Certains groupes ont déjà un bon niveau avec des sets d’une heure et demi et ont plus besoin de visibilité. D’autres n’arrivent pas à tourner. Dans ce cas, on essaie de voir si leur communication est suffisante et bien élaborée. Les actions se définissent en fonction des nécessités de chacun. Récemment, Louis Warynski, alias le Chapelier Fou, a fait appel à nous. D’habitude seul sur scène, il travaille pour la première fois avec des musiciens. En échange, il participe à des actions culturelles comme le Geek-End aux Trinitaires », remarque Maamar Bidaoui, chargé d’accompagnement pour l’Espace Public de Coopération Culturelle messin. Travail scénique, préparation à l’enregistrement ou ateliers voix, les centres MAEL prennent en main les artistes sous différentes formes à l’issue d’un bilan artistique réalisé par des musiciens et techniciens « conseil ».
Ouvrir la portée
Le duo pop rock acidulé Luna Gritt ou le quatuor rock aux influences coldwave Capture sont passés par la case « Autre Canal ». En 2013, les rockeurs à cravates de Blondstone ont bénéficié du dispositif « multipiste », un accompagnement en Grande-Région (Allemagne, Luxembourg, Belgique et Lorraine). Cette année, au tour des Dead Stereo Boots de rejoindre ce programme : « on a tout de suite été d’accord pour les intégrer à ce projet. Ils sont sérieux et disponibles. C’est un sacré atout. C’est compliqué de se dégager neuf mois pour suivre des modules de formation et tourner à l’étranger », insiste Delphine Colnot. Mais les places pour la gloire sont chères et restreintes. Pour la poignée d’artistes restant sur le banc de touche, il ne reste plus qu’à se tourner vers des associations aux ressources plus limitées. « Les structures choisissent qui ils veulent dans leurs salles. Il y a moins d’ouverture et c’est un peu toujours les mêmes groupes. Nous on essaie de donner une visibilité à tout le monde avec nos petits moyens », révèle Anne-Laure Gavoille. Avec son festival et bientôt un tremplin, la Masse Hystérique tente de jouer les relais pour les groupes locaux, petits ou grands. « On se bat pour que tous les musiciens qui viennent au festival soient rémunérés. Mais le manque de subventions publiques nous bloque. Du coup on ne fonctionne qu’avec des partenaires privés », précise la présidente de l’association. Comme Sisyphe, les artistes poussent leur rocher en haut de la colline. Parfois le rocher retombe, parfois ils arrivent au sommet.
Plus d’info sur les structures d’accompagnement en Lorraine :musiques-actuelles-en-lorraine.fr
• Retrouvez les Dead Stereo Boots en concert le 29 octobre au « Rocas » au Luxembourg et avec Vundabar à l’Autre Canal le 30 octobre. Pour les suivre : deadstereoboots.com
• Pour connaître l’actualité de Tiphaine Wary : facebook.com/tiphainewarymusique