Le canal : un art de vivre

562

Le canal a longtemps été perçu comme un lieu de travail, de fret, mais aussi comme une rupture dans la ville. Les aménagements opérés ces dernières années présentent un visage plus avenant fait de promenades, de plaisance… et également d’habitations douillettes. Larguons les amarres.

Une création du XIXe

Le canal de la Marne au Rhin fut construit de 1838 à 1853. A l’époque, un seul rôle lui est assigné : le transport de marchandises. Il faut dire que les routes sont difficiles, et le chemin de fer commence seulement à se développer. Le canal est alors avant tout un allié économique pour le développement des villes qu’il traverse, notamment Nancy. Long de 289 km, il relie d’importantes villes lorraines (Toul, Bar-le-Duc, Nancy, Metz via la Moselle…) et, particularité certaine, possède deux biefs de partage : de « Mauvages » (entre les bassins de la Marne et de la Moselle) et « des Vosges » ou de « Gondrexange » (entre ceux de la Meurthe, de la Sarre et du Rhin). C’est cette dernière partie, longue de 158 km, s’étend de Frouard à Strasbourg et traverse Nancy.
Ces deux branches ont une grande importance, car l’une permet la communication avec la Saône et le Rhône, tandis que l’autre réalise la jonction avec les grands ports de la mer du Nord. Nancy est au carrefour de ces voies d’eau.

Une baisse de régime

Contrairement à la Moselle canalisée, le canal de Nancy n’a pas reçu d’aménagements récents lui permettant d’accueillir un trafic marchand moderne. Il a conservé le gabarit « Freycinet » (péniche de 38,5 par 5,05 m maximum, de 300 tonnes) qui limite le chargement. Cela, ajouté à la concurrence du transport routier explique le changement d’utilisateurs du canal ces dernières décennies.
Les péniches marchandes ont petit à petit laissé la place à la plaisance et la croisière découverte et/ou gourmande. Toutefois, même s’il a été beaucoup réduit, le fret existe encore et de temps en temps, les ponts se soulèvent pour laisser passer quelques péniches chargées de grains ou de charbon. Cette évolution a connu d’autres répercussions : les silos, devenus inutiles, ont laissé la place à des appartements, les ports ont été réaménagés, les docks détruits, les berges transformées… bref, un nouveau quartier a accompagné la mutation du canal, c’est le fameux quartier Meurthe-Canal, à un jet de pierre de la place Stanislas et du centre touristique et historique.

Un nouveau visage pour une nouvelle vie

Le canal s’est métamorphosé. De beaux immeubles le bordent dorénavant. Ecoles d’ingénieurs ou d’architecture, cinéma, gymnases, centre de rééducation… c’est une nouvelle dynamique qui s’est installé sur les berges réaménagées (ou en cours de réaménagement). Les anciens chemins de hallage sont désormais dévolus aux promeneurs et aux vélos. Les hangars et autres entrepôts ont été détruits. Toutefois, le canal n’a pas perdu son âme, et des réhabilitations ingénieuses ont su lui garder par endroit son aspect industriel. Les anciens silos Vilgrain ou de coopératives ont été transformés en appartements (vues imprenables depuis les derniers étages garanties !), le port Sainte-Catherine a vu ses péniches de marchandises être remplacées par des restaurant ou boîte de nuit sur l’eau.

Le Port Saint-Georges, un défi gagné !

Il y a vingt ans, peu osaient miser sur le tourisme fluvial. Ce pari, gagnant, fut pourtant tenté par Nancy. Rencontre avec Franck Rousseaux, capitaine du port (eh oui, il existe une capitainerie à Nancy et qui est bien plus active qu’on ne le croit). « Le port Saint-Georges accueille trois types de bateaux : ceux qui servent de logements permanents [ils ne sont que quatre], ceux qui hivernent à Nancy et ceux qui en font un port d’attache. A cela, il faut ajouter les bateaux de plaisance qui naviguent pendant la saison estivale. La hausse de leur fréquentation ces dernières années a été très importante, et nous oscillons entre 1500 et 1600 bateaux accueillis chaque année. » Il faut dire que le port ne manque pas d’atouts : proximité du centre-ville et de ses merveilles touristiques, infrastructures accueillantes et modernes [WIFI…], gardiennage et présence du personnel 7/7 j ! Ce n’est pas pour rien que le port reçoit chaque année depuis 2005 le fameux Pavillon Bleu qui garantit un haut niveau de qualité.  Les étrangers ont vite compris que le port était une véritable aubaine et nombreux sont ceux qui viennent visiter Nancy par les eaux. On compte ainsi plus de trente nationalités, de l’Allemagne à la Suisse, de la Lituanie à la Grande-Bretagne, sans oublier la Nouvelle-Zélande. En 2010, plus de 10 700 nuitées furent facturés. A 12 € la nuitée par bateau, c’est un « camping » bon marché ; d’ailleurs, la plupart des bateaux restent deux ou trois jours, le temps de bien visiter Nancy et ses merveilles, avant de repartir.
Alors, évidement, les 40 anneaux du port sont très sollicités, et les habitués savent qu’il faut souvent réserver un an à l’avance. L’été, ils sont toujours pleins. « On essaye au maximum d’arranger les choses, mais il nous arrive régulièrement de refuser du monde. On aurait 60 anneaux qu’ils seraient tous pris ! ». Il n’y a plus qu’à convaincre la mairie d’ajouter des pontons supplémentaires !
Oui, Nancy est une ville d’eau, et beaucoup l’ignorent. En se promenant sur les quais, Nancy prend des airs de belle hollandaise. C’est calme, propre (le « Pélican » sillonne le canal pour ramasser les macrodéchets), apaisant. C’est presque un village dans la ville, qui mérite le détour. Autrefois frontière dans la ville, le canal est aujourd’hui un ruban avec lequel les constructions jouent : elles l’enserrent, l’intègrent, se reflètent. Aux beaux jours, les façades de verre rivalisent de scintillements avec les eaux calmes du canal, sur lesquelles glissent les canards et les cygnes entre deux bateaux. Le canal a bien changé, mais il a su conservé son âme.