Langoureusement bercée par les canaux qui enserrent Bangkok, les fameux « khlong »,la petite île de Koh Kret regarde avec mansuétude l’agitation qui emplit la cité tentaculaire.
Bangkok et ses environs enchantent, étourdissent et enivrent le flot continu de touristes occidentaux venus se frotter à la capitale-monde de la Thaïlande. Engloutis dans les rames de métro, bus ou tuk-tuk, ils se dirigent, tels des bonzes allant au temple du bouddha couché Wat Pho, vers les grands marchés Chatuchak ou Lumpini ou vers les centres commerciaux Siam Paragon, Pantip Plaza ou MBK. S’apprêtant certainement à ne faire qu’un avec ces temples consuméristes, antres des dernières nouveautés high-tech, ils ne semblent pas loin de submerger le plus grand gratte-ciel d’Asie, la Baiyoke Tower 2. Face à ce spectacle étourdissant, une question nous vient, juste à temps : existe-t-il, à Bangkok, mangée par le béton et la trépidation urbaine, un lieu préservé ? Les habitants du coin n’ont pas forcément vu d’un bon œil le changement radical qui a transformé leur paradis en labyrinthe étrange, mais ils n’ont pas pu y faire grand-chose. Pour autant, l’affront à la nature n’est pas encore irrémédiable. Loin s’en faut. Et il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour trouver îles éparses, plages paradisiaques et collines couvertes de jungles luxuriantes. à vingt kilomètres au nord de Bangkok, tel un parc naturel classé, l’île de Koh Kret, par exemple, est encore très peu fréquentée par des touristes qui ignorent jusqu’à son existence. Ce havre de paix situé sur le Chao Phraya est accessible par bateau depuis Nonthaburi. Halte salutaire, lieu hors du temps, loin de la pollution et de l’intempérance de la capitale, ce site à l’atmosphère paisible (la circulation automobile y est interdite) est habité par la communauté môn, installée ici depuis la fin du XVIIIe siècle, quand la Thaïlande fut reprise aux Birmans. Le profond silence dans lequel les Môn s’enferment souvent est en réalité une véritable invitation à découvrir le visage authentique de la région.
Des hommes et des dieux
En voulant étendre ses tentacules, Bangkok, quadrillée par des canaux, a continué de creuser la plaine du Chao Phraya. Mais c’était sans compter sur la puissance du second plus grand fleuve du pays, qui s’y est engouffré et a avalé des centaines d’hectares de terre et transformé des milliers d’autres en îlots. À Koh Kret, donc, on vit les pieds dans l’eau… De nombreuses maisons en bois y sont construites sur pilotis et le bateau est utilisé comme moyen de transport et comme magasin ambulant. Bien entretenues, ces baraques étonnantes, souvent enfouies dans la jungle intérieure, font office pour certaines de petites échoppes, vendant victuailles, poteries ou souvenirs. Depuis toujours, les Môn sont d’ailleurs réputés pour être d’excellents potiers et cette tradition s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. On passerait des heures à admirer la dextérité de ces artisans qui ont préservé leur langue et leur savoir-faire ancestraux. Même s’ils vivent reculés, on s’aperçoit très vite que leur influence culturelle est considérable, dépassant largement les abords de Koh Kret. Louez un vélo (bien moins cher qu’un ticket de métro) et vous vous retrouvez pédalant lentement de maisons de potier en temples birmans, puis traversant un petit bout de jungle parfaitement préservé. Un vrai dimanche à la campagne… Avant de repartir, flânez encore un peu le long des ruelles étroites du port et appréciez, comme un instant suspendu, un repas dans l’un des petits restaurants locaux situés au bord du fleuve. De retour sur les eaux du Chao Phraya, il ne vous faudra pas longtemps pour entendre de nouveau le grondement frénétique de la « cité monstre ».